Distingué aux Golden Globes 2019, "Green Book : Sur les routes du sud" sort le 23 janvier dans les salles françaises. Entre road trip et fable biographique antiraciste, le film est une belle histoire d'amitié, incarnée par deux acteurs formidables, et conduite avec douceur par Peter Farrelly, surtout connu jusque là pour des comédies comme "Fous d'Irène" ou "Dumb & Dumber".
Green Book : Sur les routes du sud raconte l’histoire de Tony Lip et de Don Shirley. Tony est un videur respecté de boîte de nuit du Bronx, jusqu’au jour où il accepte d’être le chauffeur et le garde du corps de Don Shirley, un célèbre pianiste de jazz afro-américain. Dans leur tournée de concerts dans les états ségrégationnistes du Sud, ils vont faire l’expérience du racisme, et éprouver leurs différences. A la réalisation, surprise de taille, Peter Farrelly qui, sans son frère Bobby, livre une comédie dramatique très réussie, souvent drôle et surtout émouvante.
Après Dumb & Dumber, voici Tony & Don
Film biographique, il est suffisamment réussi pour ne plus savoir si l’on découvre la vie de Tony Lip ou celle de Don Shirley. Toute cette comédie dramatique repose en effet sur le duo incarné par Viggo Mortensen et Mahershala Ali, le buddy movie étant un exercice que le réalisateur maîtrise parfaitement.
Mais une différence fondamentale est que dans Green Book, contre son habitude, le réalisateur ne place pas ses personnages dans des situations comiques. A l’inverse des duos Jim Carrey – Jeff Daniels de Dumb & Dumber ou Ben Stiller – Cameron Diaz dans Mary à tout prix, Viggo Mortensen et Mahershala Ali ne disposent pas d’un terrain de jeu miné de gags. Le premier est presque méconnaissable, grossi, avec une présence physique brutale mais sans violence. Américano-danois qui a grandi en Argentine, très peu le destinait à incarner un videur de boîte italo-américain du Bronx du début des années 60. Mahershala Ali incarne un Don Shirley à la fois flamboyant et réservé, engagé dans une mission aux multiples objectifs : poursuivre sa carrière, changer les mentalités, changer aussi l'idée que les noirs ne devraient jouer que du jazz festif. Reviennent alors à deux, à leur seule compagnie, de trouver des ressorts comiques.
Peter Farrelly, cinéma léger et militantisme prudent
A l’opposé du style subtil-régressif, marque historique de fabrique Farrelly, Green Book est ainsi la naissance d’une amitié apparemment contre-nature, qui permet un humour beaucoup plus fin. Tout le film, dans la sérénité de son cadre et de sa mise en scène, dans ses gravités allégées par la bonhommie de Tony Lip, veut se faire léger, optimiste, et l’inspiration de l’âge d’or hollywoodien, particulièrement le cinéma de Frank Capra, est évidente. La bande originale, qui mélange pièces classiques, blues et jazz de l’époque, accentue cette impression de grâce du voyage, de sa délicate humanité.
Car c’est bien cette délicatesse que Peter Farrelly recherche à tout prix dans Green Book. Dans les états du Sud où le racisme est institutionnalisé, dans la voiture où ces deux hommes très différents se parlent sans se regarder en face, Green Book est l’histoire d’une craquelure dans l’ultra-conservatisme américain. Et cette craquelure qui laisse apparaître l’humanité dans chaque individu, quelle que soit sa communauté ou sa classe sociale, Viggo Mortensen et Mahershala Ali l’investissent avec brio.
L’intelligence de Green Book est de dénoncer le racisme et la ségrégation, mais en plaçant le ségrégué, Don Shirley, dans une position de dominant. Génie de la musique, riche et cultivé, Don Shirley subit cette position qu’il a tant souhaitée. Il se présentera, dans une des plus belles scènes de Green Book, comme trop blanc pour les noirs, et trop noir pour les blancs, et donc s’avouer terriblement seul. Tony Lip, lui, n’est pas un transfuge de classe. Il est bien plus établi que Don.
Peter Farrelly renverse ainsi les points de vue et les jeux de domination. Si cette configuration est intelligente, complication élégante de Miss Daisy et son chauffeur, et fonctionne grâce au talent des comédiens, l’absence d’un côté obscur est cependant regrettable.
Un film pour s’émouvoir beaucoup, penser un peu
A l'image d’Adam Mckay, dont la maîtrise d’un récit choral existe aussi bien dans The Big Short que dans La Légende de Ron Burgundy, la réussite du duo Mortensen – Ali équivaut celle des autres duos de la filmographie de Peter Farrelly. Ce qui unit tous ces personnages, c’est la tendresse du narrateur pour les losers, les caractères où l’infinie bonté voisine avec une infinie maladresse. Avec cette dialectique « bon mais c… », suffisante à la comédie, il n’y a jamais de méchant ou de vraies mauvaises intentions dans les histoires de Farrelly. Si Don et Tony ne sont pas bêtes, l’un serait plutôt snob et l’autre pragmatique, ils sont trop vite désarmants de bonté, et c’est peut-être par ici que le film dévoile quelques faiblesses.
Green Book semble en effet se retenir d’entrer dans des considérations plus graves, et s’il existe un risque pour Don Shirley, c’est un motif important du film, on ne ressent aucune réelle menace. Le sujet du film est grave, et il l’est rappelé à plusieurs moments, mais que ce soit face à des piliers de bar racistes, la police, un maître d’hôtel condescendant, il y a peu de fracas, finalement trop peu. Aussi, les propres enjeux de Tony Lip, professionnels ou familiaux, ne semblent pas d’une grande influence dans sa conduite.
Green Book : Sur les routes du sud, le premier pas de Peter Farrelly vers autre chose
Il y a donc une sensation protectrice, la conviction formelle que c’est une belle histoire, du début à la fin, mais cette émotion agréable existe à la condition que le scénario reste souvent superficiel. Que l’on passe d’un événement à l’autre sans s’attarder trop sur leur signification. Ainsi, dans une séquence très réussie, l’arrestation du duo puis le coup de fil à la Maison Blanche sont représentatifs de ce pas de côté que fait Peter Farrelly : d’une situation dramatique il extrait un comique bienveillant, un comique de conclusion qui atténue fortement l’aspect dramatique.
Plutôt qu’un pas de côté, il aurait fallu y mettre les deux pieds, et oser insister sur la brutalité de la ségrégation pour proposer autant de rires que de matières à penser la chronique sociale que fait, même involontairement, Green Book. Néanmoins, le jury des Golden Globes ne s’est pas trompé en récompensant trois fois Green Book : Sur les routes du sud, dont deux fois dans la catégorie "meilleur film musical ou comédie", y reconnaissant un excellent film dans son genre.
Green Book : Sur les routes du sud, un film de Peter Farrelly. Au cinéma le 23 janvier 2019. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.