CRITIQUE / AVIS FILM - Trois ans après « Elle », Isabelle Huppert se glisse à nouveau dans la peau d’un personnage profondément ambigü et angoissant dans « Greta ». Si le film propose une exposition et plusieurs séquences particulièrement efficaces, il n’effleure malheureusement jamais la radicalité du thriller de Paul Verhoeven, et se contente d’une trame nettement plus convenue.
Deux films similaires sortent à une semaine d’intervalle sur nos écrans, les thrillers Ma et Greta. Ces deux longs-métrages sont centrés sur des adolescents ou de jeunes adultes qui se retrouvent manipulés, puis torturés, par deux femmes bien plus malveillantes qu’elles n’y paraissent.
Alors que le premier n’est qu’un thriller bas du front qui n’effraie à aucun moment et est systématiquement plombé par une réalisation paresseuse, le second offre tout de même quelques bonnes surprises. S’il ne révolutionne en rien le genre, Greta est une nouvelle exploration des faux-semblants et de la manipulation signée Neil Jordan, portée par deux excellentes actrices.
New York n’accorde aucune pitié à ses habitants innocents
Neil Jordan n’en est pas à sa première exploration de la Grosse Pomme. En 2007, le réalisateur s’intéressait déjà à la part sombre de la ville dans À Vif, vigilante movie dans lequel l’excellente Jodie Foster se vengeait de la mort de son mari à la suite d’une terrible agression. Cette fois-ci, ce n’est pas une histoire de vengeance dont il est question mais de manipulation, semblable au conte du Petit Chaperon rouge.
Serveuse dans un restaurant huppé de la mégalopole, Frances retrouve un sac abandonné dans le métro en rentrant du travail. Elle décide de le rapporter à sa propriétaire, installé dans une petite maison champêtre de Manhattan. L’héroïne se lie rapidement d’amitié avec Greta, une veuve qui souffre de la solitude depuis le départ de sa fille à Paris. Alors qu’une amitié naît rapidement entre les deux femmes, Frances se rend progressivement compte que la vieille dame est légèrement envahissante, pour ne pas dire extrêmement flippante.
À l’image de Ma, Greta s’intéresse aux stalkers des temps modernes qui sévissent à l’aide de leurs smartphones et des réseaux sociaux. Si le propos sur les nouvelles technologies est rapidement balayé au profit de la tension du récit, le film de Neil Jordan se révèle plus subtil et efficace que le long-métrage au rabais de Tate Taylor. L’idée que Chloë Grace Moretz plonge à corps perdu dans la gueule du loup fonctionne à merveille, en partie grâce à la présence d’Isabelle Huppert, dont le regard faussement neutre suscite parfois quelques frissons. Mise en garde par sa colocataire sur le fait qu’elle est en train de se faire dévorer par New York et ses pourritures, Frances fait malgré tout preuve de bienveillance à l’égard de Greta, dont le spectateur comprend rapidement la véritable nature.
Grâce à quelques sympathiques idées de mise en scène, notamment lorsqu’il présente les habitations de ses protagonistes, Neil Jordan donne le sentiment que Greta et New York aspirent peu à peu Frances, qui se retrouve démunie et semble n’avoir aucune échappatoire dans cette ville aux millions d’habitants. Le film dévoile ainsi son suspense habilement jusqu’à ce que le piège se referme sur cette citoyenne innocente, convaincue que la survie dans la jungle urbaine passe par l’entraide, avant de perdre en intensité dans sa dernière partie.
Un thriller soigné malgré une conclusion décevante
Bénéficiant de la superbe photographie de Seamus McGarvey (Reviens-moi, Anna Karenine), Greta offre donc une exposition aussi prenante qu’élégante au spectateur. Les dérives de la veuve sont ensuite dépeintes à travers plusieurs séquences réussies, dont l’une où Isabelle Huppert flirte avec la caricature mais l’évite de justesse lors d’un pétage de plombs. De son côté, Chloë Grace Moretz n’a aucun mal à retranscrire la peur grandissante de Frances. L’emprise de Greta sur elle et son isolement sont semblables à son infini reflet que le spectateur découvre au cours de plusieurs scènes dans un ascenseur.
Hélas, malgré ces quelques effets de style réjouissants, Neil Jordan se perd dans des explications inutiles afin de rendre concrète la folie de Greta, ce qui la rend d’emblée moins effrayante. De la même manière qu’il rejetait l’aspect fantastique dans le néanmoins sympathique Ondine, le cinéaste irlandais préfère ici la rationalité à la folie pure, ce qui ne fait que réduire la tension du film. Dans la dernière partie du long-métrage, le réalisateur intègre par ailleurs des personnages secondaires qui n’ont aucune utilité, à l’image de celui interprété par son acteur fétiche Stephen Rea. Il opte enfin pour une conclusion extrêmement convenue, qui n’est malheureusement pas à la hauteur des promesses faites dans l’exposition.
S’il ne possède pas la radicalité du Elle de Paul Verhoeven, où Isabelle Huppert pouvait jouer la carte de l’ambiguïté jusqu’au bout, Greta demeure malgré tout un thriller tout à fait honorable et soigné, qui manque simplement d’audace. Le réalisateur de The Crying Game et Entretien avec un vampire a déjà habitué le spectateur à beaucoup mieux, même si son nouveau long-métrage ne tombe à aucun moment dans la violence gratuite et débile de Ma. Avec son récit prometteur et ses deux excellentes actrices, il paraissait cependant légitime d’en attendre un peu plus.
Greta de Neil Jordan, en salles le 12 juin 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.