CRITIQUE / AVIS FILM - Avec son troisième long-métrage horrifique, "Gueules noires", Mathieu Turi se rate dans les grandes largeurs, malgré un postulat intéressant. Incohérent, avec des interprétations à côté de la plaque sur un scénario inexistant, "Gueules noires" s'enfonce dans l'absurdité la plus dispensable.
Gueules noires, la tête à l'envers
La critique du cinéma de genre est souvent biaisée par l'opinion que c'est un cinéma désargenté, et que ses mauvais effets ou ses égarements seraient imputables à un défaut de budget. Et qu'ainsi on devrait se montrer plus bienveillant à son égard. Mais le cinéma de genre, horrifique en l'espèce, n'est pas un cinéma différent des autres, et les très bons films, voire des chefs-d'oeuvre, financés avec des bouts de ficelles, se comptent en grand nombre. Il n'y a pas besoin de millions pour trouver une bonne idée et se poser, stylo à la main, pour bâtir un scénario malin qui saurait montrer quand même ce qu'on ne pourrait pas tourner, faute de moyens. Malheureusement, Gueules noires de Mathieu Turi en est la démonstration, parce que d'un côté s'il n'a effectivement pas beaucoup de moyens, il n'a surtout, de l'autre, aucune bonne idée.
À l'origine, le postulat est pourtant intéressant. On suit dans Gueules noires une équipe de mineurs du nord de la France, en 1956, chargés d'accompagner un scientifique à l'objet de recherche mystérieux. À 1000 mètres de profondeur, celui-ci est sur la piste de quelque chose qui, comme la promotion du film l'annonçait, "ne devait pas être réveillé". Il y avait donc une invitation aux airs de The Descent et aux films de monstres, pour s'inscrire dans le genre de l'horreur fantastique et psychologique. Aussi, puisque ce film se déroule dans le milieu des mineurs, un air de Germinal, et donc une incise sur le genre social et politique.
Cet enracinement social est d'ailleurs l'objet de l'ouverture du récit de Gueules noires, au Maroc. Là-bas, Amir est candidat à l'immigration dans le cadre d'une sélection de main d'oeuvre pour extraire du charbon en France. Il se retrouve ainsi rapidement à la mine, dont le directeur est incarné par Philippe Torreton. Un acteur "social" s'il en est, et que malheureusement on ne verra que quelques minutes.
Un ratage exemplaire
N'y allons pas par quatre chemins. Gueules noires, malgré un prologue historique et son enracinement socio-politique intéressants, rate tout ce qu'il propose. De la claustrophobie ? Aucune. Les mines de calcaire où le tournage a pris place sont d'une luminosité et d'une respirabilité étonnantes à un kilomètre sous terre. Une désorientation, un égarement à chaque bifurcation de la roche ? Non plus. Les décors n'ont rien de réaliste, pas plus que n'est réaliste la partition de Jean-Hugues Anglade, qui semble "chanter" ses lignes écrites à la truelle. Son personnage se balance entre le grotesque et l'agaçant et Roland, chef de l'équipe de mineurs, passe trop de temps à le menacer alors que n'importe qui l'aurait renvoyé à la surface ou aurait éclaté sa tête à coups de pierre dans les cinq premières minutes.
Son personnage, le professeur Berthier, synthétise à lui seul tous les problèmes d'écriture. Alors que la fonction de son personnage n'est que d'être un prétexte à faire descendre l'équipe de mineurs dans l'inconnu et le danger, il n'est ni protagoniste ni antagoniste de l'intrigue, il est simplement là bien trop longtemps à empêcher ce que, on doit le déterrer plus qu'on ne le devine, Mathieu Turi veut vraiment raconter. Tout seul, le réalisateur et scénariste se met donc un grand coup de pioche dans le pied.
Une histoire ratée de solidarité et d'enfermement
Gueules noires voudrait raconter l'aventure fantastique d'un groupe hétérogène mais cependant solidaire - et encore... - de mineurs. La précarité, la dureté du métier, la classe sociale et les origines ethniques... Il y a dans le groupe le valeureux et "légende" de la mine Roland (Samuel Le Bihan), le sympathique et bedonnant Polo (Marc Riso), l'odieux raciste et voleur Louis (Thomas Solivérès), le bienveillant et altruiste Santini (Bruno Sanches), le dynamiteur taciturne Miguel (Diego Martin) et enfin Amir (Amir El Kacem), l'immigré naïf mais très intelligent, principal protagoniste avec Roland. Sur le papier, il y avait donc de quoi développer des sous-intrigues intéressantes et des portraits fouillés à tirer.
Mais non, le scénario de Gueules noires et les échanges entre eux sont cousus de fil si blanc que tout est invariablement prévisible, attendu, caricatural. Les blagues racistes de Louis provoquent le malaise. Le potentiel charismatique de Samuel Le Bihan est annulé par des dialogues d'un simplisme pathologique. Les personnages de Diego Martin et de Polo sont sous-exploités, et les plans sur le visage terrifié d'Amir ne sauvent rien de ce naufrage collectif. Avec tout le respect dû au talent d'acteur de Bruno Sanches, lorsque c'est son personnage - secondaire et un des premiers à disparaître - que l'on retient le plus, c'est qu'il y a anguille sous roche.
L'enfermement, la mobilité contrariée, sont des thème chers à Mathieu Turi, et des thèmes qui se prêtent parfaitement à des mises en scènes saisissantes. Si le réalisateur montrait quelques qualités à ce sujet dans Hostile - surtout - et Méandre - moins -, c'est le néant dans Gueules noires, qui ne tire absolument rien sur le fond comme sur la forme de cet enfermement. Alors, peut-être, la créature maléfique que Polo et Louis réveillent par cupidité va-t-elle tirer le spectacle de son trou ? Pas du tout.
Une créature soignée...
Endormie depuis des millénaires, réveillée de temps en temps, dans une crypte issue d'un univers bâclé mélangeant religions ancestrales et origines extra-terrestres, la créature créée par le designer et sculpteur japonais Keisuke Yoneyama a une certaine allure. Une variante de xénomorphe particulièrement décharnée, avec les os et les muscles à vif, et dotée de plusieurs bras, à la manière d'une divinité orientale. Son apparence est réussie, et elle ne dépareillerait pas dans un film de Guillermo del Toro. Problème, comme le scénario est très mauvais et bourré d'incohérences, on n'y croit pas une seule seconde. Elle est effrayante, mais sa mobilité semble très limitée. Elle parle, mais dans un langage inaudible au son guttural que seul Berthier comprend à peu près, bien qu'il soit par ailleurs très bête, pour ne pas dire complètement con.
... mais inanimée
On apprend à un moment que la créature est faible. Et qu'ainsi un coup de lame bien placé suffirait à la tuer. Mais si celle-ci a le malheur d'atteindre la surface, alors elle détruira le monde... Ce n'est pas la seule des nombreuses incohérences qui parsèment Gueules noires, à causes desquelles on ne croit ni à la mission ni à l'authenticité des mineurs, ni à la créature dont on ne sait pas très bien pourquoi elle est là et ce qu'elle veut. Il aurait sans doute fallu ne pas avoir à se poser ces questions-là : dans le bon cinéma, souvent, la créature, le "méchant", n'a pas de raison à ses actes : ni le requin dans Les Dents de la mer ni le Michael Myers d'Halloween, ni les créatures de The Descent n'ont à justifier quoi que ce soit.
À l'image de sa créature, Gueules noires se montre néanmoins volontaire sur sa représentation visuelle. Quelques rares plans noircis par l'obscurité montrent ainsi que sa photographie n'a pas été négligée. Mais vouloir n'est pas savoir, et c'est ainsi bien dommage que Gueules noires soit à ce point raté et inefficace, jamais effrayant, toujours gênant, et d'une nature anecdotique accablante, dans un cinéma français de genre pourtant actuellement très en forme.
Gueules noires de Mathieu Turi, en salles le 15 novembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.