CRITIQUE FILM – Cette semaine, ce n’est pas un mais deux épisodes de la franchise Halloween » qu’il est possible de (re)découvrir dans les salles obscures. Avant de savoir comment David Gordon Green a orchestré le retour des vieillissants Laurie Strode et Michael Myers, il est conseillé de se rafraîchir la mémoire avec « Halloween, La nuit des masques », chef d’œuvre du Maître de l’horreur qui bénéficie pour l’occasion d’une restauration 2K.
Ce mercredi 24 octobre marque la sortie du nouvel Halloween, quasiment 40 ans jour pour jour après celle du classique de John Carpenter aux États-Unis. Avec cet épisode, David Gordon Green entend revenir aux sources de la franchise, en faisant fi des suites et en convoquant plusieurs personnalités emblématiques liées au chef d’œuvre original, à commencer par Big John et Jamie Lee Curtis.
Pour savourer comme il se doit le retour de Michael Myers, il serait dommage de rater au cinéma la ressortie d’Halloween, La nuit des masques, pierre angulaire du slasher qui n’a cessé d’inspirer les futures générations et qui, à chaque nouveau visionnage, procure toujours un plaisir incommensurable.
Le film révèle dans ses premières minutes comment Michael Myers est devenu l’un des monstres les plus terrifiants de l’histoire du septième art. En 1963, le soir de la veille de la Toussaint, le futur meurtrier, alors enfant, se saisit d’un couteau de boucher dans la demeure familiale et monte à l’étage pour y assassiner froidement sa sœur. 15 ans plus tard, le docteur Samuel Loomis doit escorter Michael pour son transfert en vue de son procès. Lorsqu’il arrive à l’hôpital psychiatrique de son patient, Loomis découvre que ce dernier s’est évadé et devine rapidement qu’il est retourné à Haddonfield, dans l’Illinois, là où tout a commencé.
"Le Mal à l'état pur" rôde dans la ville
Troisième long-métrage de John Carpenter, réalisé après Dark Star et Assaut, Halloween, la nuit des masques est souvent considéré à tort comme le premier slasher, et a ainsi éclipsé Black Christmas de Bob Clark grâce à sa mise en scène immersive et minimaliste qui n’a cessé d’être reprise. Ces dernières années, des œuvres comme It Follows ou encore Strangers : Prey at night ont par exemple rendu des hommages assumés au travail de Big John, qui n’avait pas son pareil pour présenter une petite banlieue américaine WASP paisible rongée par un Mal apparemment invisible.
Le premier élément marquant d’Halloween est d’ailleurs la gestion magistrale du hors-champ. La première séquence en vue subjective révèle par exemple le peu de choses qu’il faut savoir sur Michael Myers avant même que l’on découvre son visage, qui n’apparaît que deux fois à l’écran durant tout le film. Dans cette introduction voyeuriste, l’enfant revêt pour la première fois son masque de tueur, trouve son arme de prédilection et se montre impitoyable envers sa sœur. Le reste autour du personnage n’est que littérature et l’unique chose à savoir sur lui est qu’il n’est autre que « le Mal à l’état pur » quasiment impossible à éliminer. C’est la description qu’en fait le docteur Loomis, une version alternative de Van Helsing étrange et inquiétante incarnée par un Donald Pleasence habité, qui se lance dans une croisade contre le monstre qu’est son patient.
Lorsque Michael Myers revient dans Haddonfield et se met à suivre Laurie Strode, l’héroïne interprétée par Jamie Lee Curtis, le spectateur est aux aguets. Cependant, le tueur est aussi malin que son réalisateur et sait parfaitement disparaître dans cette commune terriblement calme, sublimée par la photographie automnale de Dean Cundey (New York 1997, Retour vers le futur, Jurassic Park).
Le public devient alors paranoïaque, conscient que Michael Myers dispose d’une voiture que l’on s’attend à croiser dans l’une des longues rues désertes de la ville. Pourtant, le cinéaste sait surprendre et préfère faire apparaître Michael derrière un drap, dans un jardin, le faisant ainsi se rapprocher de ses futures victimes. Même lorsqu’il n’est pas dans le cadre, Myers est présent et sa lourde respiration derrière le masque résonne. Le spectateur devient au fil du film à l’affut du moindre mouvement comme c’était le cas avec les criminels envahissant le commissariat d’Assaut. Extrêmement doué pour filmer l’invisible, chose qu’il réitèrera dans The Thing, Prince des Ténèbres ou Invasion Los Angeles, John Carpenter révèle ici un pouvoir de suggestion à travers sa mise en scène dont peu de cinéastes peuvent se targuer.
Qu’il observe ses proies depuis sa voiture ou chez elles en rôdant autour de leur demeure, Michael Myers ne cesse de prendre son temps, avant que le rythme ne s’accélère lors du premier meurtre. En bon maestro, John Carpenter laisse ainsi évoluer son meurtrier calmement sur des notes stridentes et répétitives, à l’image du célèbre thème du long-métrage, reconnaissable entre mille.
Des fenêtres brisées, des portes enfoncées et des placards mal verrouillés
Une fois que la nuit est tombée et que les enfants gardés par les deux adolescentes incarnées par Jamie Lee Curtis et Nancy Kyes sont confortablement installés devant le film d’horreur diffusé pour la fête des morts – La chose d’un autre monde, dont Carpenter nous offrira sa version en 1982 -, le cauchemar peut véritablement commencer.
Les visions que Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) et le petit Tommy ont eues du Boogeyman doté d’un masque blanchi de William Shatner au début du film étaient bien réelles, et ses coups de couteau le sont tout autant. Si Halloween, La nuit des masques est avare en effusions de sang, les meurtres restent extrêmement douloureux pour les spectateurs, notamment parce que les victimes n’ont d’autre choix que de regarder la mort dans les yeux en raison du sadisme de Michael Myers.
Face au meurtrier va pourtant se dresser une héroïne brillante et charismatique, qui permit à Jamie Lee Curtis de se faire connaître du grand public. Bien décidée à ne pas subir le même sort que sa mère dans Psychose, la comédienne, ou plutôt son personnage, va tout faire pour échapper au tueur tout en protégeant les deux enfants qu’elle garde. Le dernier acte propose d’ailleurs un affrontement sanglant et acharné entre le tueur et l’étudiante, qui se déroule entre deux maisons voisines d’une rue vide d’Haddonfield où les appels à l’aide ne servent absolument à rien. Dans cette ultime partie qui rappelle le final de Rio Bravo, John Carpenter se fait plaisir et rend hommage à Howard Hawks, son réalisateur fétiche.
Michael Myers se déchaîne, brise de nombreuses portes et fenêtres, tandis que Laurie Strode a de son côté bien du mal à se planquer dans un placard étroit. Les maisons idylliques présentées au début du film deviennent alors extrêmement accessibles et la sécurité qu’elles semblent offrir devient alors totalement dérisoire face au tueur déterminé à éliminer la jeune femme qu’il s’est appliqué à suivre. Au vu de la grandiose conclusion, qui finit d’iconiser l’héroïne et le tueur, on comprend tout à fait que Laurie Strode ne s’en soit pas remise et veuille en finir coûte que coûte dans le nouvel Halloween. Au-delà d’être une mise en bouche pour l’opus de David Gordon Green, le long-métrage de John Carpenter reste donc avant tout un chef d’œuvre qui semble, encore aujourd’hui, extrêmement difficile à surpasser.
Tourné en 21 jours pour un budget de 325 000 dollars, Halloween, La nuit des masques en rapporta 70 millions au box-office mondial lors de sa sortie. Il préfigure ainsi des œuvres comme Le Projet Blair Witch et Paranormal Activity. Néanmoins, contrairement aux deux films cités, jamais cet argument économique ne semble nuire au film, ce qui prouve que Big John reste l’un des meilleurs pour faire de très grandes choses avec peu de moyens.
Halloween, La nuit des masques est à (re)découvrir au cinéma le mercredi 24 octobre 2018.