CRITIQUE / AVIS FILM – "Haute Couture" de Sylvie Ohayon narre la belle rencontre improbable de deux femmes que tout oppose mais que l’art de la haute couture réunit. Avec Nathalie Baye, Lina Khoudri et Pascale Arbillot.
Du cœur à l’ouvrage
Certains films donnent très vite l’impression d’une proximité familière avec les personnages. Sans doute parce qu’ils sont bien dessinés et interprétés avec justesse et que leurs réactions semblent naturelles et crédibles. C’est le cas de Haute couture, le second long-métrage de la réalisatrice Sylvie Ohayon, par ailleurs scénariste. Elle donne à voir en parallèle ses deux héroïnes attachantes le petit matin avant leur rencontre fortuite. Esther (Nathalie Baye) parle ainsi à ses fleurs et Jade (Lyna Khoudri, déjà couturière dans Papicha) fait les quatre cents coups avec son amie Souad (Soumaye Bocoum).
Tout semble opposer les deux femmes, dont les vies de famille sont loin d’être enveloppantes. Ainsi l’âge, l’activité, le milieu social, le lieu de vie et même la religion. Des singularités que la réalisatrice pose en habile toile de fond, au même titre que la vie dans les cités et l’immigration. Mais ce ne sont pas les vrais sujets de son film. Haute Couture aborde en effet le sens même de la vie et la façon dont on le trouve pour s’épanouir.
Esther, première d’atelier dans la grande maison de couture Dior, a tout sacrifié à son art, au détriment de sa fille qu’elle ne voit plus. À l’aube de son départ en retraite, elle se voit donner l‘occasion de transmettre une dernière fois son savoir-faire et ses valeurs. Jade, qui s’ennuie dans sa cité et passe du temps à voler à la tire avec Souad, est pourtant loin d’être la stagiaire la plus facile et la plus ravie d’apprendre. Elle a déjà du mal à gérer la dépression de sa mère Mumu (Clotilde Courau) et est prête à de nombreuses reprises à tout laisser tomber. De son côté, Esther craint de s’être trompée sur la jeune fille et regrette parfois de lui avoir fait confiance.
De fil en aiguille
Car Haute Couture est un joli film sur la confiance, celle qu'on donne et celle qu'on reçoit. Et ce qui est très touchant dans le film, c’est la façon dont la force de cette confiance peut faire naître une vocation et donner un sens à la vie d’une jeune fille sans projets et sans avenir. Mais dont les mains habiles et le don pour le beau et le bel ouvrage se révèlent au grand jour.
Esther et Jade vont ainsi dépasser « La vie par procuration » de Jean-Jacques Goldman, chanson de générique au début, qui pouvait laisser entendre que l’une cherchait une fille et l’autre une mère. Elles vont se transformer au contact l’une de l’autre et apprendre à se respecter avec affection. De maître à disciple. Puis d’égale à égale. L’évolution de Jade sera évidemment la plus radicale puisque de garçon manqué jurant comme un charretier, elle va s’ouvrir à sa propre féminité et à la mode.
Dans les coulisses de la création
La grande réussite de Haute Couture, c’est de montrer en back office le travail des couturières qui s’activent, chacune à leur place. On l’avait déjà entraperçu dans le film Phantom Thread avec Daniel Day Lewis en créateur torturé. Comme une ruche au sein de laquelle règne Esther, l’atelier de Dior bruisse des taffetas, des tulles découpées avec précision ou des robes repassées délicatement. Elle est aidée par la douce Catherine (Pascale Arbillot), qui se comporte comme une grande sœur pour Jade, par le bel assistant Abdel (Adam Bessa) et la compréhensive mannequin Gloria (Alexandra Turcan). Mais Jade doit aussi faire face à la râleuse Andrée (Claude Perron). Celle-ci prend en effet plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues et à lui rappeler ses origines. Car Jade doit faire ses preuves et l’attention qu’Esther lui porte ne suffit pas.
Même si l’entourage de Jade est assez peu convaincant, Haute couture se révèle un beau film, à l’image des créations nées d’étoffes rares brillamment assemblées. Le film parvient à évoquer avec sensibilité et sans revendication le fonctionnement de l’ascenseur social dans notre société. Pour ainsi donner foi en la reconnaissance des talents et des mains tendues.
Haute couture de Sylvie Ohayon, en salle le 10 novembre 2021 – Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.