Heureux comme Lazzaro : bientôt les bienheureux

Heureux comme Lazzaro : bientôt les bienheureux

CRITIQUE FILM - Après avoir remporté le Grand Prix en 2014 pour « Les Merveilles », l’italienne Alice Rohrwacher revient à Cannes avec son troisième film « Heureux comme Lazzaro ». Un conte social sur l’histoire, en deux partie, d’un jeune candide qui revient d’entre les morts.

Dans Les Merveilles, Alice Rohrwacher s’imposait déjà comme un nom à cocher sur la carte d’un jeune cinéma européen (la réalisatrice italienne avait 32 ans pour Les Merveilles) aux inspirations diverses. Entre la fable mythologique et le film social, entre les cavernes platoniciennes où se tournait un concours de télévision visant à promouvoir un agriculteur local et les campagnes fantasmagoriques, où les dromadaires côtoyaient les poules, Alice Rohrwacher avait su trouver son style. Proche du cinéma d’Alessandro Comodin (Bientôt les jours heureux), filmé à la Super 16, Heureux comme Lazzaro s’inscrit dans la lignée de son précédent film, armé d’une ambition un peu plus importante.

Dans une contrée italienne reculée, à l’Inviolata, un groupe de paysan travaille sans relâche au compte de la Marquise Alfonsina de Luna, une ponte de l’industrie du tabac. Parmi eux : Lazzaro, un jeune homme qui accepte tout et fait profiter toute la troupe de sa dévotion quotidienne. Un jour, la Marquise vient passer un séjour à l’Inviolata avec son fils, Tancredi, qui ne la supporte plus. Alors qu’il simule son propre enlèvement et se réfugie dans la cachette secrète de Lazzaro dans les montagnes, il se lie d’amitié avec ce dernier. Mais alors que Lazzaro disparaît à son tour, la police débarque et libère les paysans de l’esclavage, les ramenant à la société moderne.

Au hasard Lazzaro

Jusque-là, le film semble ancré dans un réalisme coupé du monde. Comme une bulle, l’Inviolata est un lieu hors du temps. Les paysans ne connaissent pas le salariat et travaillent en s’endettant ostensiblement. Si, déjà, l’atmosphère du lieu était empreint d’un mystère merveilleux durant sa première partie, la confirmation du film-fable survient lorsque Lazzaro revient véritablement d’entre les morts. Alors qu’il rejoint la ville et la civilisation contemporaine, nous nous rendons compte petit à petit que de nombreuses années se sont écoulées entre sa chute d’une falaise (celle qui a provoqué sa disparition juste avant la chute de l'empire industriel de la Marquise) et l’action présente, où les enfants de l’Inviolata sont devenus des adultes errants dans des terrains vagues moisis, là où même Tancredi a sombré dans le délabrement.

Deux hypothèses s’imposent alors. Soit le temps passe différemment à l’Inviolata et le vieillissement des personnages est fictif (leur mine s’est décrépie au contact de la modernité), là où la rupture du film ne serait que perceptive. Soit il s’est véritablement écoulé plusieurs années et Lazzaro n’est pas un homme comme les autres. Celui-ci, ingénu semblable à l’âne de Au hasard Batlhazar de Bresson incarne cette innocence et cette pureté perdue dans la décrépitude du monde. La nature face à la civilisation est une dichotomie, certes, attendue, mais Alice Rohrwacher parvient à la mettre en scène habilement, un jonglant avec les genres du film social et du conte pastoral. Oui, Heureux comme Lazzaro est cette herbe sauvage qui est parvenue à pousser au beau milieu d’une plaque de béton.

Heureux comme Lazzaro de Alice Rohrwacher, présenté en compétition officielle à Cannes, sortira prochainement en salle.

Conclusion

Note de la rédaction

Comme un prolongement de son dernier film, « Heureux comme Lazzaro » de Alice Rohrwacher navigue entre réalisme et allégorie fantastique. Hésitant encore à se plonger à fond dans l'un de ces deux pôles, la rupture temporelle qui intervient au milieu de son nouveau film permet d'affirmer plus clairement ces aspirations conflictuelles.

Sur la bonne voie

Note spectateur : 4.78 (2 notes)