CRITIQUE FILM – Dans « Invasion Los Angeles », le héros enfile des lunettes noires apparemment basiques et découvre que notre société est gouvernée par des extra-terrestres qui nous asservissent et veillent à notre endormissement prolongé. Porté par le regretté Roddy Piper, le film est une violente charge contre l’Amérique de Reagan qui vaut autant pour son humour ravageur que pour la générosité de Carpenter dans l’action.
Lorsqu’il débarque à Los Angeles pour tenter sa chance, John Nada trouve un emploi sur les chantiers. Il y fait la rencontre de Frank Armitage, qui lui propose d’installer son campement dans son bidonville. Très rapidement, Nada découvre que des réunions secrètes sont tenues dans une église à proximité. En enquêtant discrètement, le héros met la main sur des lunettes très spéciales qui lui permettent de voir le monde tel qu’il est, à savoir gouverné par une minorité d’extraterrestres. À la tête des principales richesses, ces derniers exploitent les plus pauvres, tandis que les médias font en sorte que la population reste dans un état d’endormissement.
Onzième long-métrage de John Carpenter, Invasion Los Angeles annonce parfaitement l’humour ravageur de L’Antre de la folie et Los Angeles 2013. Tourné deux ans après l’échec commercial des Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, le film retrouve une tonalité légère que le cinéaste avait totalement délaissée dans Prince des Ténèbres, œuvre désenchantée et profondément noire. Néanmoins, Invasion Los Angeles n’en demeure pas moins pessimiste, violent et tout aussi acerbe que la plupart des films de son auteur.
Un film de body snatcher cinglant
Inspiré de la nouvelle Les fascinateurs de Ray Faraday Nelson, Invasion Los Angeles nous plonge dans la chaleur de la cité des anges, où les yuppies sont concentrés dans le centre économique. En filmant une ville extrêmement marquée par les disparités sociales, le cinéaste confronte deux espèces différentes : celle des extra-terrestres dénoncés à travers les graffitis et par les pirates télévisuels, et celle de Nada. Jusqu’à ce que le héros enfile les fameuses lunettes noires, les deux groupes se croisent sans vraiment se regarder, du moins sans que Nada ne s’attarde sur eux.
Une fois la supercherie révélée, les aliens deviennent étrangement moins effrayants que le processus avec lequel ils instrumentalisent les humains. Au lieu de rendre leur emprise terrifiante et répugnante comme Philip Kaufman avait pu le faire quelques années plus tôt dans L’Invasion des profanateurs, Big John préfère les ridiculiser grâce au regard et à la stature du regretté Roddy Piper. S’il est loin d’être le meilleur acteur avec lequel Carpenter a collaboré, le catcheur en impose physiquement et ne se laisse absolument pas impressionner par les extra-terrestres, excepté lorsqu’il les voit vraiment. La confrontation avec un alien qui prend l’apparence d’un vieil homme à un stand de journaux est par exemple hilarante.
Nada découvre alors les célèbres slogans qui irriguent les affiches publicitaires et qui pousse les habitants au consumérisme. Après avoir digéré la nouvelle, le héros se lance dans une croisade où il n’épargne aucun extra-terrestre. En résulte des séquences et répliques cultes, à l’image d’une arrivée dans la banque où il est question de mâcher du chewing-gum et de tirer dans le tas. Après le fataliste et mystique Prince des Ténèbres, John Carpenter revient donc avec brio à un cinéma plus léger mais tout aussi porteur de sens et de convictions, qu’il n’hésite pas à clamer encore plus ouvertement qu’auparavant.
Un complot trop gros pour être vrai
Si le script d’Invasion Los Angeles fonctionne toujours aussi bien et que les révélations continuent de surprendre même si le ressort principal de l’intrigue est connu, c’est parce que John Nada se plonge avec assurance dans une aventure qui le dépasse totalement. Au départ, le héros, qui porte bien son nom, n’imagine absolument pas ce qui se trame dans l’église. Lorsqu’il trouve les lunettes, il est également à mille lieues d’imaginer ce qu’elles permettent de voir.
John Carpenter arrive à nous faire croire que le complot évoqué dans la bande-annonce est trop gros pour être vrai, grâce à la surprise permanente de son héros, qui est d’ailleurs contagieuse. En effet, lorsqu’il essaye de convaincre son ami Frank – l’excellent Keith David - de porter les lunettes de soleil, ce dernier se montre quelque peu réfractaire. En résulte une scène de combat légendaire dans une allée de L.A., interminable et absurde, à laquelle Hot Rod a d’ailleurs apporté ses talents de catcheur.
Le cinéaste parvient donc à nous plonger dans son univers avec premier degré sans jamais mettre de côté son humour cinglant. Cela fait d’Invasion Los Angeles un divertissement extrêmement généreux, doté d’un baroud d’honneur mémorable marqué par quelques révélations inattendues sur la nature cupide de protagonistes importants. Mais comme toujours avec Big John, le long-métrage dépasse son statut de série B en apparence basique, en abordant notamment des thématiques qui résonnent encore plus fort à notre époque. Un pur film de genre intelligent, jouissif et jusqu’au-boutiste, comme seul son auteur sait les faire.
Invasion Los Angeles de John Carpenter, ressortie au cinéma le 2 janvier 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.