CRITIQUE FILM / AVIS - La comédie du réalisateur palestinien Elia Suleiman a été présentée en compétition au 72ème Festival de Cannes. Une comédie burlesque, qui n'a pas peur de jouer la carte de la simplicité pour questionner l'identité de son pays.
Perdu dans l'immensité du cinémascope, un visage apparaît : c'est celui d'Elia Suleiman. Un visage doux, qui interroge le monde qui l'entoure : le spectateur, qu'il semble regarder droit dans les yeux, mais aussi les différentes sociétés qu'il visite.
Drôle de clown
Le réalisateur palestinien, révélé à Cannes en 2002 avec Intervention Divine, se met ainsi directement en scène, et joue son propre rôle, mais revêtit les habits d'un personnage burlesque. Par son mutisme presque constant, le personnage au cœur d'It must be heaven nous fait en effet penser aux grands comiques du cinéma muet, Buster Keaton et Charlie Chaplin en tête. Le film entier est d'ailleurs peu bavard : quand un personnage secondaire parle, ce n'est que pour souligner l'absurdité des situations.
Elia Suleiman tend vers un message universaliste. Bien entendu, il est question de la Palestine, mais ce que semble vouloir montrer le cinéaste est l'attachement que l'on peut ressentir envers son pays d'origine, quel qu'il soit. C'est pour oublier ce dernier que son personnage voyage à Paris, puis à New York, mais on le ramène constamment à sa condition de Palestinien. Ainsi, un producteur français (joué par Vincent Maraval lui-même) va trouver un scénario "pas assez palestinien", tandis qu'un chauffeur de taxi américain est émerveillé en expliquant n'avoir "jamais vu de Palestinien".
L'Humaine comédie
Le film montre ainsi un paradoxe : en refusant de parler directement de son pays (et de sa situation politique), le cinéaste le voit partout. Dans les checkpoints des aéroports, dans les policiers et les militaires présents dans le métro parisien, ou encore lorsque des tanks surgissent en pleine rue - en fait, pour le défilé du 14 juillet.
Le procédé d'It must be heaven est assez simple : le protagoniste / réalisateur s'étonne devant une situation, puis nous voyons celle-ci. L'action se déroule à l'intérieur de plans fixes cadrés avec soin, qui nous évoquent des vignettes de bande-dessinées. On a ainsi parfois l'impression d'être en face de plusieurs scènes un peu éparses, des petits segments qui pourraient s'enchaîner dans un ordre différent, comme dans une B.D. Mais on finit par s'y faire, et le récit devient d'ailleurs plus cohérent dans son dernier tiers, qui se paie le luxe d'employer un acteur comme Gaël Garcia Bernal le temps d'une seule scène.
La principale qualité du long-métrage, c'est son humour plein de poésie. On rigole face à des situations ubuesques, des dialogues un peu surréalistes ou des scènes qui semblent irréelles. Mais surtout, Elia Suleiman par sa présence même donne à la comédie une grande douceur, une tranquillité dans son regard sur le monde. Malgré des passages un peu répétitif, on retiendra ainsi une scène faisant figure, comme le film, de véritable respiration au sein d'un Festival n'ayant pas peur de la violence. En effet, pendant quelques minutes, on assiste dans It must be heaven à un jeu, une compétition, entre notre héros et un simple moineau. Une simplicité dans le fond comme dans la forme, propice à l'émerveillement : si le but d'Elia Suleiman était de faire un récit à visée universaliste, on peu dire que c'est réussit !
It must be heaven de Elia Suleiman, présenté à Cannes 2019, prochainement dans les salles. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.