Le documentaire "Itaewon" de Kangyu Ga-ram raconte avec acuité l’évolution d’un quartier de Séoul vu à travers le regard de trois femmes – Sam-sook (77 ans), Naki (75 ans), Young-hwa (58 ans).
Dans Itaewon, c'est deux visions du monde qui s'affrontent. L'une est plus traditionnelle, avec trois femmes qui content une vie de quartier plus enlevée au temps de l’ingérence américaine et des rencontres fortuites avec les fameux GI’s. Tandis que l'autre est plus moderne, et laisse entrevoir les transformations sociales du quartier à l’image de l’arrivée massive de jeunes artistes auquel le documentaire n’accorde finalement que très peu la parole. Le cinéaste met volontairement de côté cette "nouvelle" parole, celle d’une communauté multiple, constituée visiblement de différentes religions, qui s’approprie et façonne un quartier en pleine ébullition avec des travaux d’aménagement et de délocalisation.
Une histoire de femmes plutôt que de ville.
Le cinéaste privilégie l’histoire personnelle de ces trois femmes, celle de leur poursuite du rêve américain au cœur des années 1970 qu’elles parvenaient souvent à approcher en se mariant avec l’un d’entre eux, allant parfois même vivre aux États-Unis quelques temps. Mais le réveil fut brutal, et les lendemains furent moins rieurs.
Les écarts grandissant, les tensions s'amplifiant, la rupture finit par être total entre elles et tous les autres. Leur condition, dorénavant très précaire, possède une portée universelle qui fait forcément écho à beaucoup d'autres situations, celles des femmes bien sûr, mais aussi des délaissés et des oubliés de la société. Elles pâtissent de leur histoire et d'un mode de vie qu'un quartier tout entier tente d'ensevelir. Elles errent telles les fantômes de la "Hooker's Hill" dans ces mêmes rues, désormais modernisées, où l'on tente d'oublier l'étrange relation qui unit l'Amérique et la Corée depuis la guerre par un excessif désir de progrès. C'est cette vérité anthropologique, sociologique et historique que nous livre Itaewon, beau documentaire qui embrasse à la fois la richesse historique (ces femmes) et moderne (cette diversité) d'un des quartiers les plus vivants de Séoul.
Itaewon de Kangyu Ga-ram, présenté au Festival du film coréen à Paris du 24 au 31 octobre 2017.