CRITIQUE / AVIS FILM - Pour son sixième long-métrage, Maïwenn met en lumière Jeanne du Barry, la favorite du roi Louis XV qu'incarne ici Johnny Depp dans un biopic joliment mis en scène.
Un biopic élégant pour Jeanne du Barry
Qui aurait cru qu'en réalisant Marie-Antoinette (2006), Sofia Coppola allait être à l'origine d'un film de Maïwenn ? Pourtant, en découvrant le long-métrage, la cinéaste française fut aussitôt passionnée par l'un des seconds rôles, la comtesse du Barry incarnée par Asia Argento. Maïwenn voit alors des similitudes entre la vie de celle qu'elle décrit comme une "looseuse magnifique" et la sienne, et tombe amoureuse de l'époque. Mais il lui faudra dix ans avant de pouvoir véritablement envisager un film sur Jeanne du Barry.
Le temps d'apprendre derrière la caméra - elle réalise sur cette période Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011) et Mon roi (2015) - et de se sentir un peu plus légitime. Finalement, après moult épreuves durant la pré-production (notamment dans sa recherche d'un acteur pour incarner Louis XV), et après avoir réalisé un cinquième long-métrage, ADN (2020), la réalisatrice est arrivée à bout de ce projet de longue date.
Avec Jeanne du Barry, elle propose un biopic faussement classique sur la favorite du roi Louis XV qui cache en réalité une histoire d'amour touchante, loin des dramas expressifs auxquels la cinéaste nous avait habitué.
Maïwenn rejoue l'Histoire
Dès son premier long-métrage, Maïwenn a filmé les conflits entre les êtres de manière violente, voire bruyante. Dans son cinéma, ses personnages extériorisent leurs émotions et expriment avec véhémence leur colère. Parfois envers Maïwenn (on se souvient de son visage plein de crème dans Pardonnez-moi), d'autres fois venant d'elle-même (dans ADN où elle s'imagine s'en prendre à son père). Et même si la cinéaste incarne à l'écran des personnages, l'aspect autobiographique est toujours présent de manière plus ou moins évidente.
Inévitablement, on trouve chez Jeanne du Barry des points communs avec Maïwenn. Notamment dans ses jeunes années que la réalisatrice met en scène, où on découvre son héroïne adolescente trimballée par sa mère pour servir de modèle.
Mais passé cette contextualisation qui, comme dit précédemment, s'apparente à une approche classique du biopic, Maïwenn se plonge dans le plus intéressant chez la comtesse du Barry : sa relation avec le roi Louis XV. Un homme de pouvoir, plus âgé qu'elle, comme a pu en connaître Maïwenn ? Ici la réalisatrice présente cette histoire d'amour de manière relativement saine (sur certains points on pense à celle de Breezy de Clint Eastwood), jamais sujette à des drames - qu'importe les incartades du roi.
Fidèle à l'Histoire, sans l'édulcorer tout en s'autorisant de légers changements (Jeanne était blonde et pas brune), Maïwenn présente deux êtres dans leur bulle au milieu de la Cour choquée par la présence de cette "putain". Car Jeanne vient du peuple et se retrouve donc propulsée au sein de l'élite royale, au grand dam des filles du roi. Ces dernières feront alors tout pour l'humilier en se moquant ouvertement d'elle ou en manipulant la jeune Marie-Antoinette (qui refusa longtemps d'adresse la parole à Jeanne).
Johnny Depp convaincant
Le conflit familial que Maïwenn peut alors mettre en scène reste étonnamment tout en retenue. Même la colère du roi ne s'exprimera jamais ouvertement, à l'image d'une séquence forte où Louis XV vient faire des remontrances à ses filles sans dire le moindre mot. Une utilisation du silence qui atteste de la maîtrise de Maïwenn dans ses choix de mise en scène, sobres mais efficaces.
Bien que ce projet soit d'une envergure vertigineuse, avec un budget de plusieurs millions permettant de tourner en grande partie à Versailles, avec des décors et des costumes somptueux et une quantité de figurants, Maïwenn s'en sort donc haut la main. Son Jeanne du Barry tient la route et va même au-delà de certaines attentes. Principalement au sujet de Johnny Depp.
La présence de l'acteur pour incarner le roi Louis XV avait de quoi interroger, et on pouvait craindre de le voir lutter avec des dialogues en français. Mais le résultat est plus que convaincant. Si chacun sera en droit de juger l'homme et ses déboires personnels, sa prestation reste réussie.
Le comédien peut toujours exceller lorsqu'il est bien dirigé. Et s'il y a bien une chose que maîtrise Maïwenn, c'est sa direction d'acteurs. Après coup, cette rencontre entre les deux semble évidente. Nul doute que l'un et l'autre ont su se tirer vers le haut pour permettre la réussite de Jeanne du Barry.
Jeanne du Barry de Maïwenn, en salles le 16 mai 2023. Le film a fait l'ouverture du 76e Festival de Cannes. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.