CRITIQUE / AVIS FILM - Dans une débauche jouissive de combats, ponctués d'humour et de références au cinéma de genre, "John Wick : Parabellum" montre un Keanu Reeves au sommet de sa forme. Un film dont la violence n'a d'égale que sa sympathique innocence.
On avait laissé le légendaire assassin en fuite dans New York, après avoir tué à l’hôtel Continental Santino d’Antonio, boss de la mafia italienne et membre de la Grande Table. Une fuite protégée pendant une heure par Winston (Ian McShane), qui lui laisse donc une petite avance avant de prononcer John Wick (Keanu Reeves) excommunié, sa tête mise à prix pour 14 millions de dollars. Rien que ça, et ce n'est pas très loin du budget du premier opus, qui s’élevait à vingt millions.
On ne peut s’empêcher d'embrasser la perspective offerte par ce John Wick 3 sur ses prédécesseurs, évidemment, car le film est un puits de références à sa propre mythologie, et à celle d’un cinéma d’action décomplexé, qui se fait très rare.
John Wick 3 : un résultat au-delà des attentes
John Wick est taiseux mais a priori sympathique, adoré pour ses qualités de tueur, et respecté pour son code moral. La Grande Table aimerait s’en débarrasser et couvrir la faute originelle de Santino, qui a trahi le héros dans John Wick 2.
Cette trahison est la graine de la discorde, enfin plutôt la graine de la guerre totale, puisque Winston, manager du Continental de New York, se retrouve puni pour avoir aidé John Wick dans sa fuite, ouvrant la voie des sécessions au sein de l’organisation. Le titre de cet opus, John Wick : Parabellum, est tiré de la formule latine "si vis pacem parabellum" : si tu veux la paix, prépare la guerre. C'est vertigineux, car la monumentale action du film n'est pas encore la guerre en question...
John Wick, s'échappant de New York à grands coups de feu et de poings, se rend au Maroc où il retrouve Sofia (Halle Berry), ancienne consoeur devenue manager du Continental de Casablanca. Redevable envers John, celui-ci va lui demander de l’aide, précipitant la perspective d’une guerre entre les différentes entités de la Grande Table. Sofia, à la manière du personnage interprété par Laurence Fishburne, permet à John Wick de trouver des alliances. Parce qu'il est à lui seul une armée de mille hommes, ces alliances sont surtout prétexte à étendre l'univers John Wick.
Tout aussi en forme que Keanu Reeves, Halle Berry et ses deux bergers malinois, assurent l’action et la référence touchante à la composante « canine » de la saga. Des nouveaux arrivants, c’est elle qu’on retient d'abord. Même si en face, envoyée par la Grande Table pour remettre de l’ordre dans le chaos, l’adjudicatrice Asia Kate Dillon s’en tire aussi très bien.
On en apprend aussi plus sur les origines de John Wick, dont sa réelle identité, à l'occasion d'une séquence avec Anjelica Huston. Il est agréable de voir que plusieurs femmes font leur arrivée dans l'univers John Wick, des actrices aussi douées qu'expérimentées. Ces personnages permettent de pénétrer dans l'histoire de John Wick et d'imaginer des épisodes de sa vie à raconter, ce qui est séduisant, mais leurs univers propres apportent une complexité grandissante à un scénario dont la qualité était d'être basique.
Le grand cinéma de genre
Le film est un chef-d’oeuvre d’action. Les combats, qu’ils soient à mains nues, à l’arme à feu, ou avec un livre (!), sont des moments de cinéma précieux, parce qu'entièrement libérés et uniques. On n’avait pas vu de telle célébration du film d’action et des arts martiaux depuis la fameuse scène de la cuisine dans The Raid 2. D’ailleurs, la présence des deux acteurs Yayan Ruhian et Cecep Arif Rahman des films The Raid confirme cette idée : John Wick : Parabellum est un film qui a de la hauteur, et de cette hauteur il regarde dans les yeux le grand cinéma de genre auquel il appartient maintenant.
Le plaisir que l’on tire de ce John Wick 3 n’est pas une jouissance névrosée de la violence. C’est un plaisir complexe, entre celui du spectacle cathartique, et celui d’un cinéma désengagé d’une critique, un cinéma qui ne revendique rien d’autre que le plaisir, la surprise, ce cinéma qui tout d’un coup vous pousse à crier et applaudir en pleine séquence.
John Wick appartient donc à une autre catégorie de films, celle des années 80, où le héros ne meurt jamais, où il tient tête à la terre entière, dans une histoire qui finit par être surréaliste. Rappelons-le, tout a commencé par le vol d’une Mustang et le meurtre de son beagle Daisy... Parce qu’il assume son aspect délirant, sans obligation, et c’est là son charme infini et paradoxal, le film John Wick : Parabellum devient un cinéma nécessaire.
Keanu Reeves, l'Immortel
C’est donc ce que montre John Wick : Parabellum. Le réalisateur Chad Stahelski, chorégraphe et cascadeur de métier, parvient par sa maîtrise à inscrire le film dans un glorieux cinéma de genre. Keanu Reeves, acteur si particulier dans la faune hollywoodienne, trimballe sa gloire avec discrétion mais assurance, conscient sans doute que son rôle dans les Matrix, puis dans John Wick, lui colleront à tout jamais à la peau, dans les scénarios comme dans l’imaginaire collectif.
Et l'acceptant avec joie, il incarne pour le meilleur un action hero de tout premier plan. Sur le pur plan de l'action, Keanu Reeves assurant la quasi totalité de ses chorégraphies, il est incroyable de voir à quel point l'acteur de bientôt 54 ans est dans une forme olympique.
Il faut remarquer qu’il le fait à l’inverse des action hero du cinéma d'aujourd’hui, qui sont plus humains, faillibles, encore idéalistes. John Wick, homme austère et simple, peut donc affronter des ennemis incarnés par des acteurs emblématiques du cinéma d'action et de genre, au premier rang desquels Mark Dacascos (Crying Freeman), ennemi et admirateur du héros.
John Wick 3, un menu gastronomique et copieux
Les combats sont dantesques, épuisants, et John Wick/Keanu Reeves semble gagner en invincibilité à mesure que volent les balles, les lames, que pleuvent les poings. Les deux premières séquences de combat sont d’ailleurs les meilleures, en proposant une action bourrée d’ironie et d’humour. C’en est presque une difficulté pour la suite, puisque le film est long, 2h10, et ces moments de grande bravoure cinématographique arrivent sans doute trop tôt. Au regard de cette brillante introduction, les combats qui suivent seraient presque conventionnels, malgré leur grande qualité de mise en scène et, toujours, leurs références (la poursuite en moto en référence à The Villainess).
Il y a quelques faiblesses de narration, mais c’est logique au regard de la matrice du film. Ouverte sur une idée très basique, l’histoire se développe obligatoirement vers des complexités qui ne lui étaient pas nécessaires. Dans son aventure, John Wick rencontre ainsi le grand chef de la Grande Table (Saïd Taghmaoui), dans une séquence un peu longue et à l’accent presque mystique. La volonté de créer beaucoup de surprises est louable, mais elle reste aussi superflue.
A la manière d’Avengers : Endgame, et on le pressent à celle de Godzilla II, les auteurs de ce troisième opus ont vu les choses en grand. En très grand. Pur objet de cinéma contemporain, à la différence de ces deux productions massives qui s'appuient sur des oeuvres historiques, Chad Stahelski et Keanu Reeves frappent là où il faut, ordonnant avec un soin amoureux un chaos sensationnel. Comme le grand cinéma de genre, il est précieux parce qu'inutile, et universel parce que désintéressé d'un quelconque message. Tout simplement brillant.
John Wick : Parabellum de Chad Stahelski. Au cinéma le 22 mai 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.