CRITIQUE / AVIS FILM - Lancé à pleine vitesse sur l'autoroute d'un séduisant n'importe quoi, entre portrait mystique et pur film de combats, "John Wick : Chapitre 4" embrasse le chaos total pour une orgie d'action inouïe. Spectacle aussi bordélique qu'épuré, film à la fois muet et hurlant, tragédie amusante... Revue d'une attraction aux sensations aussi fortes que paradoxales.
Au commencement, il n'y avait rien...
Nous sommes en 2014, et l'histoire de John Wick s'ouvre sur un double drame. Ancien tueur à gages, John Wick (Keanu Reeves) perd l'amour de sa vie, Helen, des suites d'une longue maladie. Celle-ci, prévoyante, lui a préparé un cadeau posthume pour qu'il ne meure pas de solitude : un adorable chiot. John n'a pas le temps d'adoucir le deuil de sa femme que trois mafieux russes débarquent chez lui pour lui voler sa voiture, tuant le chiot Daisy au passage.
Neuf ans et trois films plus tard, la vengeance née d'un banal braquage qui a mal tourné est devenue une guerre de titans, un conflit global, un affrontement sans merci et sans répit entre un homme seul et les plus puissantes organisations criminelles du monde.
D'un film néo-noir confiné aux bas-fonds new-yorkais, John Wick est devenu une saga d'action majeure, gagnant de film en film une dimension toujours supérieure, emportant son anti-héros à Rome, dans les sables du désert, sous les néons japonais, dans la nuit berlinoise et finalement sur les marches du Sacré-Coeur.
Logiquement, mécaniquement, ce John Wick : Chapitre 4 est en tout point semblable à l'évolution de son personnage : une machine monstrueuse dont l'emballement n'a plus aucune limite.
Le grand art de la bagarre
John Wick : Chapitre 4 peut se découper en trois temps, trois lieux, trois grandes batailles. Suite aux événements de John Wick : Parabellum, John Wick est plus que jamais traqué par la Grande Table, sa tête toujours mise à prix. Mais puisqu'il a été aidé par Winston (Ian McShane) et Charon (Lance Reddick), le directeur et le concierge du Continental de New York, il a précipité la destruction de cet hôtel. Comme le dit un des personnages au début de John Wick : Chapitre 4, "tout ce que touche John Wick meurt"...
Constat autant que prophétie, cette vérité est une réalité immédiate. Dès l'arrivée au Japon de John Wick, à Osaka, Le Marquis (Bill Skarsgård), chargé de l'élimination de John Wick et de ses alliés, y envoie ses hommes pour une première séquence d'action monumentale. Pour celle-ci et les suivantes, les curseurs sont au maximum, avec une brutalité et un caractère excessif jouissif.
Les armes à feu tirent, les poings s'abattent, les flèches et les katanas fendent l'air. Les corps tournoient, tombent, s'abattent les uns sur les autres, le sang gicle et les os craquent. C'est cathartique, stupéfiant, et au moment où l'on en aurait trop, Chad Stahelski et les scénaristes Michael Finch et Shay Hatten offrent une bouffée d'air salvatrice avec un second degré bien dosé. Parce que John Wick semble invincible, parce qu'il est aussi fondamentalement un homme bon, on trouve toujours le temps de sourire, voire de rire.
Un spectacle d'action inédit
Il faut, pour espérer le vaincre, un adversaire à la mesure de John Wick. Celui-ci est tout trouvé avec Caine, incarné par le légendaire Donnie Yen. Un assassin lui aussi retiré des affaires, aveugle, ami de John Wick, mais qui n'a d'autre choix qu'exécuter les ordres du Marquis pour espérer préserver sa fille de ce monde où l'on peut mourir dans la seconde.
Lorsque John Wick se retrouve une première fois face à lui, au terme d'un combat déjà dantesque, il n'a pas le coeur de l'abattre alors qu'il le pourrait. John Wick a perdu sa femme et lutte pour son souvenir, Caine lutte pour ne pas perdre sa fille. Qui devrait l'emporter ?
Dans cette folie où les distances sont abolies, on file en un éclair à Berlin. Là, John Wick affronte au Berghain, mythique boîte de nuit, un Scott Adkins obèse et cartoonesque mais aux compétences de combat intactes et diaboliques, pour gagner le droit de défier, selon les règles de la Grande Table, le Marquis. Et c'est à Paris que prendra place cet affrontement ultime.
Paris est tout particulièrement à l'honneur dans John Wick : Chapitre 4. La séquence autour de l'Arc de Triomphe, où les projectiles sont autant des balles que des voitures, est un sommet stratosphérique du cinéma d'action. Et tant pis si l'on repère ça et là des incrustations et des artifices bien visibles.
Plus tard, au terme d'une nuit où John Wick se sera débarrassé d'une horde d'assassins sur son trajet - on retient un incroyable plan-séquence zénithal -, il lui faudra encore gravir avec violence les marches qui mènent au Sacré-Coeur. Dans son excès constant, John Wick : Chapitre 4 n'évite cependant pas des défauts dans ses chorégraphies, qui ne parviennent pas toujours à atteindre la finesse et la fluidité du cinéma - essentiellement asiatique - dont il s'inspire.
John Wick, une pure mythologie
On le pressentait. On le savait. Depuis qu'il est constamment traqué, soit depuis le dernier acte de John Wick : Chapitre 2, John Wick ne fait plus que survivre. Et la meilleure défense, c'est encore l'attaque. Regard droit et dur malgré son dos qui se voûte et sa démarche cabossée, John Wick va au devant de son sort sans se détourner, revenir sur ses pas ou s'arrêter.
Comme Achille à Troie, comme Hercule dans ses travaux, John Wick est un demi-dieu au destin inscrit dans le marbre. Assassin dont la renaissance s'est faite dans la mort - celle d'Helen et de Daisy - son parcours le mène aussi vers la mort. Ses alliés, Winston et le Bowery King (Laurence Fishburne), lui disent, lui répètent encore, tout comme ses ennemis le lui promettent. D'ailleurs, eux-mêmes le savent, ils sont tous logés à la même enseigne. Seule la mort, ultime juge de paix, se trouve au bout du chemin.
Sur son chemin de croix, John Wick est comme nu. À la différence des précédents opus, il n'a plus accès aux abondantes armureries des hôtels Continental. Dans ce John Wick : Chapitre 4, il parvient même à parler encore moins qu'avant, guerrier monosyllabique à la voix rocailleuse. Se dégage ainsi une sensation paradoxale et douce-amère : pourtant personnage principal et source de toute cette mythologie, John Wick est comme absent et indifférent à lui-même, à la fois pantin et moteur d'un destin tragique, seul contre tous avec son costume noir et son unique pistolet.
Le spectacle de John Wick : Chapitre 4, ultra-simple et ultra-généreux, devient alors la pure représentation de son concept, à la fois épuré et maximaliste.
John Wick, qu'es-tu donc devenu ?
Il y a John Wick, et il y a les autres. Tout en reprenant l'épure fondamentale de John Wick : Parabellum, qui consistait à se concentrer avec une précision maniaque sur les séquences d'action et les chorégraphies de combats, John Wick : Chapitre 4 cherche une nouvelle émotion sur des intrigues tenues par les personnages secondaires.
Il y a le Traqueur (Shamier Anderson), sorte de free agent de ce jeu de massacre à la dégaine de baroudeur-hipster, accompagné de son fidèle et redoutable berger malinois. Parce que, que serait un film John Wick sans un chien ? Il y a Caine, dont l'amour pour sa fille serre le coeur. Il y a Akira (Rina Sawayama), la fille de Shimazu (Hiroyuki Sanada), qui cherche aussi vengeance. Et puis, il y a encore Katia (Natalia Tena), cheffe de la Ruska Roma...
Autant de personnages qui viennent peupler un univers et le nourrir avec une réussite aléatoire, dans une forme de contre-sens avec John Wick, puisque celui-ci s'applique à faire le vide autour de lui. Un autre paradoxe de ce John Wick : Chapitre 4 qui, avec les autres, sur la forme comme sur le fond, constituent tout son charme.
Martyr, personnage christique venu souffrir pour expier la violence du monde, John Wick n'est plus l'ex-assassin endeuillé en quête de vengeance. Il est un être surhumain énigmatique, une parfaite machine à tuer qui pourtant ne supporte pas une seule seconde qu'on puisse maltraiter un chien. Une énigme vertigineuse qui, à la fin des presque trois heures de John Wick : Chapitre 4, nous laisse étrangement touchés, considérablement épuisés et surtout très satisfaits.
John Wick : Chapitre 4 de Chad Stahelski, en salles le 22 mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.