CRITIQUE FILM - JSA (Joint Security Area) ressort aujourd'hui dans une version restaurée. L'occasion de découvrir ce film réalisé en 2000 mais inédit en France. Une oeuvre de Park Chan-wook dont le propos reste parfaitement d'actualité et dont la réalisation est un modèle des genres qu'il marie avec style.
La ressortie de JSA, qui date de l’an 2000, est un événement. Car ce troisième film du Coréen Park Chan-wook, auteur notamment du célèbre Old Boy, est resté jusqu’à ce jour inédit en France. A l’occasion de sa ressortie, un double retour est nécessaire sur ce film. Parce qu'il éclaire la suite de la filmographie du réalisateur, et qu'il est, malheureusement, d’une actualité brûlante.
Dans la DMZ, seul point de contact entre les deux Corée, un incident a lieu et deux soldats nord-coréens trouvent la mort. Le major Sophie Jean, Suissesse d’origine coréenne, est mandatée par la commission de supervision des pays neutres (Suède et Suisse) pour faire la lumière sur cet incident. A rebours, l’enquêtrice va découvrir progressivement la vérité sur cet incident diplomatique, démêlant les nombreux fils mensongers qui font les versions officielles. D'un côté, la Corée du Sud soutient que leur homme a été enlevé. De l'autre, le Nord soutient qu’il a assassiné ses hommes de sang-froid. Alors le soldat sud-coréen Lee Soo-hyeok est-il le meurtrier ? Son alter ego du Nord, le sergent Oh Kyeong-pil, seul survivant du massacre, est-il sincère dans son récit de l'incident ?
Amitiés et violences à la frontière
Film de guerre, buddy movie, film policier, JSA est d’une complexité grandissante. La mise en scène de Park Chan-wook est brillante. On assiste à une succession de scènes révélatrices, dont aucune n’est de trop. Aucune de trop, mais certaines utilisent quelques codes ostentatoires, tels les ralentis et de longs travellings. N’oublions pas que nous sommes en 2000 et que Park Chan-wook est au début de sa carrière. Comme on le re-verra plus tard dans Old Boy, les thèmes de la vengeance et du motif personnel sont déjà ici centraux. Le réalisateur promène son audience dans un récit qui devient enlevé et plein d’espoir, pour mieux exploser en une extrême violence, sans préavis.
Magistralement narrée, l’avancée de l’enquête ne permet pas de soupçonner les révélations finales. Ni celle de l’incident, ni celle de sa suite, donnée dans le temps principal du récit. Par l’usage de flashbacks, par l’examen postérieur des différents points de vue, JSA délivre un récit policier parfait. La fameuse Demilitarized Zone (DMZ) est en réalité parcourue de patrouilles et truffée de mines. C'est dans ce faux no man's land presque onirique que se fait une rencontre décisive entre les hommes du Nord et du Sud. Cette zone contradictoire devient le lieu d'une amitié qui noue donc le film à plusieurs genres.
JSA : intelligent, pacifiste et humaniste
C’est ainsi dans les rapports individuels, et non dans un discours géopolitique, que le film se résout. Malgré l’amitié et l’espoir qui en naît, la tragédie de la séparation des deux Corée suit son cours jusqu’à briser tous les destins de ses protagonistes. La transgression politique est radicale, et d’autant plus percutante qu’elle ne s’adresse pas directement par motifs politiques. JSA est un film pacifiste, qui oppose avec force l’amitié à l’ordre militaire, l’empathie individuelle à la brutalité du collectif. Pour réussir ces personnages, entre soldats et enfants, les deux acteurs principaux Lee Byung-hun et Song Kang-ho sont formidables.
Divertissement intelligent et militant, JSA est un film universel sur l’amitié entre les peuples, « frères » ou « camarades », et sur la souffrance d’être violemment étranger face à un autre si semblable. Brillant et terriblement actuel.
JSA (Joint Security Area), de Park Chan-wook, en salle le 27 juin 2018. Ci-dessus la bande-annonce.