Just Charlie : l'art délicat d'une quête de soi

Just Charlie : l'art délicat d'une quête de soi

CRITIQUE / AVIS FILM - "Just Charlie" de Rebekah Fortune, sélectionné à Cannes Ecrans Juniors, raconte l'histoire de Charlie, jeune adolescent né garçon mais qui devient fille. A la fois conte moral, drame familial, et exercice de patience, le film émeut autant qu'il donne à penser.

Produit en 2017, raflant depuis les Prix du public dans plusieurs festivals, Just Charlie est beaucoup plus que le premier long-métrage de Rebekah Fortune et la révélation du jeune acteur Harry Gilby. Une histoire courte et presque légère, timide, dans une petite bourgade anglaise, alors que son sujet porte beaucoup de gravité, de vie, et d'universalité. Just Charlie est en effet un film bouleversant, par son approche complexe de la transidentité, et par l'élégante patience de cette approche.

Qui est Charlie ?

Charlie a quinze ans, il vit à Tamworth en Angleterre, et il est la star de son équipe de football. Il est si doué qu'il est repéré par Manchester City, prestigieuse équipe de la prestigieuse Premier League. Une équipe adorée par la ville, et par son père, qui a failli devenir professionnel. Leur relation est proche, mais exclusivement axée sur le football, avec tout ce que le père y projette par procuration. Mais Charlie, à mesure qu'un choix de vie prend forme, ressent différemment les choses. Il ne se sent pas bien dans son corps de garçon, et il préfère au maillot les vêtements féminins, qu'il revêt en cachette dès qu'il le peut. Charlie se sent fille, il est une fille, et cette transidentité va bouleverser sa vie et sa famille.

Critique Just Charlie : l'art délicat d'une quête de soi

Qui est Charlie ? Une question très secondaire tant que Charlie est heureuse, tant qu'elle saura résister à la bêtise et à l'intolérance d'un monde qui détruit les individus différents de la foule. Ce monde est représenté avec beaucoup de finesse dans Just Charlie. Plutôt que de filmer des personnages caricaturaux, transphobes, le scénariste et la réalisatrice montrent des gens sympathiques, de bonne volonté, habitués à la normalité.

Tommy (Travis Blake Hall), le meilleur ami de Charlie, aura une réaction de rejet, mais une réaction inauthentique sur laquelle il reviendra. Comme les autres personnages autour de Charlie, son traitement est réaliste, pour montrer ensemble la maladresse et l'humanité de mêmes individus. La belle photographie du film insiste sur les couleurs froides, mais sans jamais tourner au gris ou au sombre. Just Charlie est peut-être un "drame", mais il est lumineux.

Just Charlie est un conte réaliste

Ce monde où les coexistences sont fragiles, c'est d'abord celui d'où viennent les parents de Charlie. Une famille de la classe moyenne, travailleuse, qui a gagné un petit confort mais qui a payé un prix. Le père, Paul, aurait pu devenir footballeur sans son travail à l'usine qui lui a coûté physiquement. C'est ensuite un monde du quotidien où tout peut arriver, dans une banale mais fausse indifférence : l'annonce faite au dîner, le malaise entre amis au pub, la cruauté inconsciente des enfants.

Dans le salon familial, sur l'aire de jeux que Charlie et Tommy fréquentent de moins en moins, dans les intérieurs exigus qui illustrent l'enfermement de Charlie, l'environnement laisse difficilement place à l'émotion, individuelle et collective. Il y a des scènes dures, celle par exemple du premier jour d'école de Charlie une fois son identité transformée, ou encore celle où ses coéquipières de l'équipe de foot féminin qu'elle a intégrée la rejettent.

Critique Just Charlie : l'art délicat d'une quête de soi

La violence de ce bouleversement est illustrée physiquement, mais elle est essentiellement suggérée, hors champ ou décentrée du cadre. La réalisatrice réussit ainsi à évoquer le corps de Charlie et les atteintes à ce corps sans l'exposer, et le gardant cependant objet d'une attention constante et inquiète. Le jeune acteur Harry Gilby, à l'affiche de Tolkien en juin, est d'une justesse admirable dans ce rôle, avec une intensité et une pudeur qui en disent long sur la maturité du comédien. Nommé au British Independent Film Awards 2017 en tant que meilleur espoir masculin, Just Charlie est aussi le film d'une révélation grandiose.

Charlie, tout simplement

Rebekah Fortune filme à plusieurs reprises les tentatives de communication entre le père et la mère (Patricia Potter), qui ne vivent pas la même expérience. Des moments forts, où la mise en scène cherche très justement à découvrir le lieu intime qui permet l'expression de différentes souffrances et leur résilience. La caméra cherche ainsi les failles, les endroits où exprimer la tempête qui a lieu : les buissons d'un sous-bois, le toucher d'un vêtement, l'amour des parents.

Charlie est une fille. Il ? Elle ? Peu importe, et c'est le message du film, porté par ce formidable duo d'acteurs, Harry Gilby et Scott Williams. Ce dernier est le plus touché par le changement d'identité de son enfant. Son rêve de voir Charlie devenir footballeur professionnel s'évanouit, il ne comprend pas ce qui arrive, il se sent trahi. Mais pour, finalement, parvenir à identifier la réelle cause de sa souffrance et réapprendre à dire son amour. Et accepter que, plus que tout, la peur de voir son enfant malheureux, discriminé, moqué, lui est insupportable.

Just Charlie est très beau parce que, comme ses personnages, il résiste du début à la fin au rangement dans des cases. Parfait dans sa mesure, dans son intention jusque dans sa durée, le film invoque une patience, celle due à tout être humain dans sa quête de soi. Il dit, enfin, qu'à force d'amour et de temps, d'empathie et de courage, toutes les histoires sont belles. 

 

Just Charlie de Rebekah Fortune, en salle le 15 mai 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

"Just Charlie", petit film indépendant de très haute volée, est une démonstration d'intelligence, de maîtrise de la narration et de la mise en scène. Portrait patient d'une transidentité, le film brille par sa profondeur et sa délicatesse. A voir absolument.

Note spectateur : 3.6 (1 notes)