CRITIQUE FILM - Présenté au TIFF en septembre 2017, "Kings", deuxième long-métrage de Deniz Gamze Ergüven, est une plongée bouillante dans les émeutes de 1992 à Los Angeles, ainsi qu'une ode à la tendresse. Film d'une jeunesse éblouissante, "Kings" est une exploration outre-atlantique de certains thèmes ouverts dans "Mustang", avec au casting Halle Berry et Daniel Craig.
Il y a de l’universalité dans chaque révolte, et c’est ce qui donne à chacune son humanité, sa nécessité, et sa triste banalité. Après l'étouffante société patriarcale turque de Mustang, Deniz Gamze Ergüven s'est appliquée à filmer la vie de jeunes afro-américains pendant les émeutes de Los Angeles en mars 1992. Cette année-là, quatre policiers blancs sont acquittés après le passage à tabac de Rodney King, un jeune homme noir, un an après les faits. A l’énoncé du verdict, des émeutes éclatent dans Los Angeles et durent pendant une semaine. Dans cette ambiance de guérilla urbaine, Kings s'attache au quotidien de Millie. Celle-ci (Halle Berry) essaye tant bien que mal de protéger sa famille, des enfants de tous les âges qu’elle recueille en attendant l’adoption ou le retour d’un parent.
Le tour des garçons
Dans Mustang, c’était au cœur d’une bande de filles que l’on découvrait l’intimité d’une jeunesse révoltée. Dans Kings, le regard de la réalisatrice se porte sur des garçons. Elle le porte notamment sur cet âge si particulier où ils ne sont ni enfants ni adultes. La révolte, la famille, l'amour : c'est par le prisme d’une adolescence masculine que ces thèmes sont exposés.
Le personnage de Jesse (Lamar Johnson), premier rôle plutôt contemplatif de Kings, exprime le mieux les feux de la jeunesse. Il expérimente l’amitié et l’amour, la jalousie, le regret et la culpabilité. Beaux comme des rois avec William, son alter ego et anti-héros, ils forment la paire centrale du drame. Avec eux, la jeune actrice Rachel Hilson cannibalise l’attention, véritable petite bombe à retardement, tour à tour ado touchante et femme fatale. C’est d'ailleurs le triangle amoureux qu’elle forme avec Jesse et William qui constitue l’élément principal de la gravité de Kings.
Chez les adultes, la relation Millie/Obie brille par ses séquences comiques, apportant une dimension burlesque. Daniel Craig (Obie) semble particulièrement prendre du plaisir dans ce registre ludique, à la fois énigmatique et comique. En mode anti-007, il donne la réplique à une Halle Berry épuisée par sa tâche mais d’une résilience et d’une volonté sans failles. Paradoxalement, elle incarne là un personnage pragmatique mais apparaissant peu probable. A l'image de l'ensemble du film, elle s'inscrit rapidement dans la forme presque rêvée que prend Kings.
Kings, un cinéma fait de toutes les chaleurs
Le film se met à la hauteur de Jesse. Il se place ainsi du côté de l’enfance et de ses élans oniriques. En effet, la tendresse des personnages confine au rêve dans la situation par ailleurs critique et dangereuse. Alors que les rues s’embrasent littéralement, dans des mises en scène presque horrifiques, c’est dans le cocon familial et les lits de la petite maison que se trouvent la paix et la tendresse.
Il y a une sensation de chaleur dans le film de Deniz Gamze Ergüven, en réalité et en sensation. D’abord la chaleur de la famille, des jeux dans le jardin, le fait d’être entouré physiquement, la maison toujours animée qui est un refuge. Ensuite, la chaleur des jeunes et moins jeunes adultes, entre les adolescents qui se découvrent comme êtres charnels, et les aînés qui retrouvent de la sensualité. Enfin, il y a la chaleur du Los Angeles qui s’embrase. Son climat et sa violence, la tension des corps sous le soleil californien. Dans Kings, la description de cet univers est montée avec des extraits vidéo de l’époque, apportant authenticité et style.
Ces chaleurs brûlent, et les brûlures sont la révolte concrète d’une communauté persécutée, ainsi que l’initiation au monde des jeunes héros de Kings.
Emporté par sa fougue ?
La réalisatrice franco-turque marie avec une certaine grâce, pendant une heure et demie, la grande histoire et de simples destinées. C’est là toute la beauté de Kings, et c’est aussi sa faiblesse. Le film se développe en effet dans une indécision. Il balance entre le caractère historique de l’épisode Rodney King et le drame intime. Entre la légèreté et la gravité. On rit, on s'effraie et on s'émeut, mais dans un ordre aléatoire et souvent confus.
Alors, peut-être est-ce aussi le témoignage de l'époque. Cinquante ans après l'assassinat de Martin Luther King, les tensions raciales sont à leur paroxysme dans l'Amérique trumpienne. Du rire aux larmes, de la réalité au rêve, de l'amour à la haine... Kings a le mérite de sortir de la beauté de ce foutoir.
Kings de Deniz Gamze Ergüven, en salle le 11 avril 2018. Ci-dessus la bande-annonce.