AVIS/CRITIQUE FILM – Louis Garrel signe son troisième long-métrage avec "La Croisade". Une fable écologique qui mêle amour et autodérision avec laquelle le réalisateur retrouve Laetitia Casta et Joseph Engel, déjà présents dans "L’Homme fidèle".
La Croisade : les révoltés de l’an 2020
Troisième long-métrage de Louis Garrel après Les Deux amis et L’Homme fidèle, La Croisade s’ouvre sur une scène magistrale. Dans un grand appartement parisien, Abel (Louis Garrel) retrouve sa compagne Marianne (Laetitia Casta) et leur fils Joseph (Joseph Engel). Au fil de leur conversation, l’adolescent révèle avoir vendu un certain nombre d’affaires familiales afin de financer un mystérieux projet.
Très vite, Abel et Marianne découvrent avec effarement qu’ils ont été délestés sans s’en rendre compte de leurs montres et vêtements de luxe, de leurs meilleures bouteilles de vin ou encore d’ouvrages de collection. Face à ce grand ménage, ils tentent d’en savoir plus sur l’entreprise énigmatique que Joseph met en place avec des enfants du monde entier. Alors que leur groupe secret s’était promis de ne pas exposer leur objectif à des adultes, Joseph enfreint la règle et explique qu’ils s’attèlent à sauver la planète, urgemment.
Au cours de cette introduction durant laquelle le spectateur retrouve les personnages de L’Homme fidèle, les dialogues coécrits par Louis Garrel et Jean-Claude Carrière fusent. La caméra ne lâche pas les deux parents, perdus lorsque leur fils les confronte involontairement à leur matérialisme. Le recul et l’humour avec lesquels le réalisateur et comédien observe sa condition bourgeoise l’écartent d’emblée du ton moralisateur dans lequel pourrait tomber le film. Cette première séquence rapproche par ailleurs La Croisade d’un long-métrage radicalement différent, À la poursuite de demain, en dressant un constat similaire : les enfants représentent l’espoir et la solution face à l’essoufflement et la décrépitude de notre planète.
Un sujet passionnant oublié en cours de route
Mais là où le film de Brad Bird défend cette thèse en offrant à son héroïne un parcours passionnant, La Croisade reste malheureusement en surface. Une fois que le projet secret est dévoilé, Louis Garrel le place en retrait pour développer d’autres éléments. Il continue notamment de se moquer de sa condition, en particulier lors d’un repas où le verbe ainsi que l’accumulation de leçons et de clichés permet aux adultes de combler leur manque de connaissances sur l’écologie, et de légitimer leur besoin de confort.
Dans la deuxième moitié du long-métrage, le cinéaste met en parallèle deux évolutions sentimentales. La première est celle d’Abel, qui stagne dans sa relation avec Marianne et peine à se remettre en question, réalisant que son tempérament obtus contribue au problème, pas à la solution. Une prise de conscience qui entraîne de jolies scènes d’errance dans les rues vides de Paris, où les plans visiblement "sauvages" contrastent cependant maladroitement avec le traitement esthétique du reste de La Croisade.
De son côté, Joseph est dans l’âge des premières expériences et dans la découverte des tracas amoureux. Là encore, cela offre de beaux moments, dont une séquence de danse où la liberté et l’énergie du garçon sont communicatives. L’urgence environnementale et la peur de l’avenir n’étrillent pas la jeunesse de l’adolescent, qui elle écrase en revanche le propos écologique du film.
Après sa première demi-heure aussi drôle que pertinente, La Croisade met donc son sujet de côté. Il n’y revient que par le biais de dialogues surexplicatifs ou ironiques, avec lesquels Marianne et Abel rappellent que le combat de leur fils est nécessaire et qu’il est important d’utiliser des ampoules à basse consommation. Mais pour qu’Abel se sépare de son véhicule à haute consommation, il faudra attendre.
Louis Garrel, réalisateur économique
Le cinéaste pointe certes des paradoxes avec un humour et une légèreté qui fonctionnent parfaitement. Cependant, dans la sensibilisation qu’il propose et les portes ouvertes qu’il enfonce, La Croisade paraît presque vain. La faute à une trop courte durée (1h07), qui laisse hélas le sentiment d’une conclusion expédiée.
Alors qu’il s’en était écarté, le film revient à son idée de départ dans ses dernières minutes, au cours desquelles le visage évocateur de Laetitia Casta vaut largement un discours. Il n’efface toutefois pas l’impression d’avoir assisté à un long-métrage qui va à l’économie et ne fait que survoler une croisade à peine visible. Cette frustration ne fait néanmoins pas oublier les nombreuses qualités de l’œuvre, à commencer par l’alchimie entre ses trois interprètes principaux.
La Croisade de Louis Garrel, en salle le 22 décembre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.