La Familia : les bas-fonds tentaculaires de Caracas

La Familia : les bas-fonds tentaculaires de Caracas

CRITIQUE FILM - Premier long-métrage vénézuélien présenté à Cannes en 2017, "La Familia" de Gustavo Rondón Córdova, prend la forme d’un drame social et suit la fuite d’un père et son fils, déterminés à fuir un destin funeste. Sobre et effroyablement réaliste, il nous entraîne dans les bas-fonds de Caracas et déterre un soupçon de tendresse dans une société conditionnée par la violence et la peur.

Dans les rues d’une banlieue ouvrière de Caracas, Pedro, 12 ans, trompe l’ennui avec ses amis jusqu’à ce qu’une violente altercation avec un jeune de son âge éclate. L’adversaire en sort grièvement blessé et son père, Andrès, l’oblige à fuir se cacher. Mais loin de mesurer le poids de ses actes, Pedro entame un bras de fer contre celui qui n’aspire plus qu’à le sauver.

Gustavo Rondón Córdova a toujours su qu’il ferait un film sur Caracas, cette ville dans laquelle il est né et a grandi. Amoureux d’elle autant qu’il la déteste, il dresse un portrait doux-amer de cette capitale, allant jusqu’à en faire un personnage à part entière. Son intention : explorer le lien entre l’extérieur et l’intérieur des foyers. Comment Caracas influe-t-elle sur ces familles ?

De grands enfants

Si La Familia parvient à capter l’attention du spectateur, c’est bien parce que Gustavo Rondón Córdova excelle dans l’art de le transformer en petite souris. Tout se passe comme si le spectateur suivait la scène depuis le trou d’une serrure. Intimiste, indiscrète, la caméra survole cette jeunesse faite d’errance, d’impatience et d’ennui. Ici, les enfants sont livrés à eux-mêmes, libres au point de finir captifs, parqués dans des ruelles poussiéreuses aux allures de labyrinthe. Ils ont beau être petits et frêles, ce ne sont pas des enfants, du moins, c’est ce dont ils se persuadent. Obsédés par l’idée de griller les étapes, tous redoublent d’efforts lorsqu’il s’agit de faire croire aux  autres qu’ils ont tout vu, tout vécu, bien avant l’heure. Lorsque Pedro blesse mortellement le garçon qui voulait le faire chanter, il ne mesure aucunement les conséquences de ses actes. Inconscient, impétueux, il se moque même de son père qui redoute les représailles. Un homme, un vrai, ça n’a peur de rien. Il va finalement se retrouver propulsé dans un monde d’adultes qui lui démontrera le contraire.

Critique La Familia : Caracas, tentaculaire

Terriblement réalistes, ces scènes du quotidien dépeignent une génération nerveuse, aspirée malgré elle par un tourbillon de violence. Plus aucun jeu n’est innocent. Les capsules de bières font office de balles de Baseball et les balles perdues font l’objet de collections. Sur les toits déserts, un garçon pointe son arme imaginaire sur des policiers. « Si les poulets te voient, ils tirent direct », lui rappelle l’un d’eux, la voix riante. Dans ce coin, la sécurité n’existe pas. Les adultes vendent des bières aux mineurs lorsqu’ils ne les menacent pas avec un flingue. Córdova fait oublier la fiction et confère à son long-métrage l’authenticité d’un documentaire.

Un réalisme documentaire

Ce réalisme, Gustavo Rondón Córdova le doit à de longues observations et recherches. Avant de faire marcher sa caméra, il a inspecté les rues de Caracas, ajoutant des éléments à l’intrigue au fil de ses découvertes. Si le choix de Giovanni Garcia dans le rôle du père lui est apparu comme une évidence, le processus de casting a été long pour trouver celui qui incarnerait le fils. Avec son équipe, il s’est rendu dans de nombreux quartiers, dans des centres commerciaux et écoles avant de repérer Reggie Reyes, occupé à jouer au foot avec ses amis. Quelques essais caméra et entretiens ont été faits avant la mise en place d’un atelier de travail comportant une vingtaine de pré-sélectionnés dont Reggie Reyes s’est démarqué. Un choix judicieux puisque le jeune garçon, en adéquation parfaite avec Garcia, livre une performance remarquablement sensible et juste.

Critique La Familia : Caracas, tentaculaire

Le film a été réalisé de façon chronologique et le scénario, écrit au plus simple pour conserver la spontanéité des personnages. Le cinéaste s’est attelé à rendre le texte le plus accessible possible aux jeunes, ce qui les rend si naturels. Il n’y avait pas de répliques à proprement parler, en dehors de quelques-unes, spécifiques. La plupart des dialogues étaient improvisés et les acteurs disposaient seulement d’une ou deux instructions ou thématiques.

Masculin / Féminin

A ce réalisme troublant, s’ajoute la beauté de ce lien père/fils, nourrit par l’urgence et le secret. Gustavo Rondón Córdova explique qu’en Amérique Latine, socialement parlant, la mère est la figure numéro une de la famille, le pilier. Ici, les femmes ne font que passer. Elles sont les amies, les voisines, et la mère de Pedro ne vit que sur cette photo qui ne la quitte jamais. L’importance de la figure féminine et maternelle est traduite par ce vide dont Andrès et Pedro doivent s’accommoder.

Leurs violentes altercations laissent peu à peu place aux aveux et Pedro, sans jamais trahir la retenue qui les lie, reproche à son père ses absences. Lorsque ce dernier s’offusque de sa façon de manger, son fils lui rétorque : « J’ai toujours mangé comme ça ». « Au fond, tu ne me connais pas », semble-t-il lui dire, sans animosité. Sobrement, Gustavo Rondón Córdova confronte les points de vue de ses personnages et exposent leurs failles. En dehors des affrontements physiques, rien n’est jamais frontal. Les silences ont un poids. Pedro épie son père lorsqu’il dort, le scrute avec une certaine fascination. Les effusions laissent place aux regards pudiques, et c’est sûrement plus beau.

 

La Familia de Gustavo Rondón Córdova, en salle le 10 avril 2019. Ci-dessus, la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec "La Familia", Gustavo Rondón Córdova nous entraîne dans les bas-fonds de Caracas et déterre un soupçon de tendresse dans une société conditionnée par la violence et la peur.

Note spectateur : Sois le premier