Avec « La Forme de l’eau » Guillermo del Toro revient à un cinéma qu’il semblait avoir oublié depuis « Le Labyrinthe de Pan », un conte où la magie opère autant par la forme que par les propos de son auteur.
La filmographie de Guillermo del Toro pourrait se diviser en deux catégories. D’un côté, il y a le cinéma fantastique qui tend vers le divertissement plus ou moins grand public (Mimic, Blade 2, Hellboy, Pacific Rim). Des films sur lesquels le cinéaste se concentre avant tout sur l’aspect visuel, sur la forme. De l’autre, il y a ce cinéma intimiste et personnel, où le genre du fantastique permet d’évoquer davantage de sujets de fond (L’Echine du Diable, Le Labyrinthe de Pan, et dans une certaine mesure Crimson Peak).
C’est dans cette deuxième catégorie que se rangerait La Forme de l’eau, sa dernière création. Un conte fantastique extrêmement noir qui, bien qu’étant un film américain, ressemble bien plus à ses productions dites, « européennes », enrichies de par leur contexte.
Un contexte historique d'actualité
Avec L’Echine du Diable et Le Labyrinthe de Pan, Guillermo del Toro traitait de l’Histoire espagnole (la guerre d’Espagne) qu’il s’appropriait de par son histoire personnelle (une enfance compliquée). Avec La Forme de l’eau, le récit est cette fois déplacé en pleine Guerre froide mais traite de sujets plus actuels, pouvant être liés, entre autres, à la nomination de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis.
Dans un laboratoire secret du gouvernement, Elisa, muette, travaille comme concierge avec son amie Zelda. Un jour, une étrange créature aquatique est amenée dans le laboratoire pour subir les tortures du colonel Strickland. Elisa va se prendre d’affection pour l’amphibien et tenter de le libérer. Une histoire inspirée, à l’évidence, par L'Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold (1954).
Du fond dans la forme
La Forme de l’eau est un film d’une beauté folle. Il n’y a rien à redire là-dessus. Qu’elle soit visuelle - del Toro livre à nouveau de belles trouvailles, comme cette scène d’amour dans une salle de bain remplie d’eau – ou auditive, grâce à la composition sublime d’Alexandre Desplat. Le compositeur français assure avec aisance toute la délicatesse du film et on croirait retrouver la complicité qu’avait del Toro avec Javier Navarrete sur Le Labyrinthe de Pan. De même que sa seconde collaboration avec le directeur de la photographie, Dan Laustsen (Crimson Peak), plonge La Forme de l’eau dans une sorte de bulle d’eau chaleureuse, où douceur et onirisme combinent à merveille.
Et si son récit s’avère passionnant, la réelle plus-value de La Forme de l’eau se trouve dans ses sous-intrigues et la profondeur de ses personnages. Une fois n’est pas coutume, Guillermo del Toro oppose la beauté à la monstruosité. Rappelant que le mal et le danger sont plus à voir du côté des hommes (des militaires ou des hommes de pouvoir en général) que de ses créatures. Ici, c’est évidemment Strickland (Michael Shannon, absolument terrifiant) qui représente le véritable monstre du film. Allant presque en prendre des caractéristiques physiques avec ses doigts pourrissant.
À l’inverse, ce sont bien ceux qui ne rentrent pas dans la norme (la créature, la femme muette) qui disposent des plus belles valeurs. Mais del Toro va plus loin encore. Car par le biais des minorités qu’il représente et qu’il met face à la société des années 1960 - le racisme et l’homophobie subis respectivement par Zelda et Giles, le voisin d’Elisa -, il fait évidemment écho avec l’époque actuelle.
L'humanité de del Toro
En cela, La Forme de l’eau parvient à offrir des touches d’émotion à quasiment tous les niveaux. Principalement avec Elisa, éminemment touchante et incarnée à la perfection par Sally Hawkins. Cette dernière apparaît d’autant plus humaine sous la direction audacieuse de Guillermo del Toro – qui ne craint pas de la déshabiller et de filmer ses désirs naturels.
Le cinéaste mexicain provoque alors un sentiment d’empathie fou dans la relation qui se développe entre la jeune femme et la créature. S’ajoute à cela des pointes d’humour dont il a le secret et un équilibre entre légèreté et tension (un final tendu et inquiétant), au sein desquels la poésie est toujours mise en avant. De quoi faire de La Forme de l’eau son film le plus mature, porté par des obsessions à la fois personnelles et universelles. Un chef d’œuvre, assurément, qui n’échappe pas au caractère attachant de cet auteur si singulier.
La Forme de l'eau de Guillermo del Toro, en salle le 21 février 2018. Ci-dessus la bande-annonce.