CRITIQUE FILM - Réputé pour être l’une des sources d’inspiration de George Lucas pour « Star Wars », « La Forteresse cachée » est un divertissement épique et totalement maîtrisé. Avec ce film d’aventure doté de somptueux décors naturels et de scènes d’action flamboyantes, Akira Kurosawa offre à Toshiro Mifune l’un de ses rôles les plus iconiques, celui d’un mystérieux vagabond qui s’avère être un redoutable guerrier au service d’une princesse aussi ingénieuse que courageuse.
En 1958, Akira Kurosawa a l’ambition de tourner un grand succès public pour se consacrer à des projets plus personnels par la suite. Le réalisateur réussit largement son pari avec La Forteresse cachée, film d’aventure extrêmement généreux porté par un Toshiro Mifune au sommet de son charisme.
Le long-métrage s’ouvre sur Tahei et Matashichi, deux soldats qui cherchent à fuir une ligne de front pour rentrer chez eux pendant les guerres civiles du Japon du XVIe siècle. Sur leur route, les deux compères incapables de combattre découvrent une barre d’or cachée dans une branche. Ils comprennent rapidement que ce petit pactole n’est qu’une infime partie du trésor du clan Akizuki, vaincu par les Yamana. En se lançant à la recherche du reste du magot, les déserteurs croisent un mystérieux individu qui se met à les suivre. Ce dernier n’est autre que Makabe Rokurota, un samouraï chargé de veiller sur la fortune du clan Akizuki et sur la princesse Yuki. Devant se rendre à la même destination que les deux soldats, Rokurota et Yuki se lancent dans un périple hasardeux, au cours duquel ils doivent préserver la véritable identité de la princesse pour la protéger.
La ruse au détriment de la force
La première partie de La Forteresse cachée est loin d’être la plus agréable. Avant de dévoiler les enjeux de ce film d’aventure qui ne cesse de gagner en consistance jusqu’à son final flamboyant, Akira Kurosawa se concentre sur les deux déserteurs aussi lâches que stupides. Si l’empathie envers eux ne cesse de grandir à mesure que le long-métrage avance, leur hésitation permanente et leurs disputes répétées ont de quoi exaspérer.
Maîtrisant parfaitement l’art des apparitions mémorables, le cinéaste prend le temps de développer leur relation avant que Makabe Rokurota ne fasse son entrée dans le récit. Cette dernière est une véritable bouffée d’oxygène pour le spectateur, qui trouve enfin un point de repère dans cette guerre des clans brièvement résumée par les soldats Tahei et Matashichi, source d’inspiration de George Lucas pour R2-D2 et C-3PO dans Star Wars : Episode IV - Un Nouvel Espoir.
À l’image d’Obi-Wan Kenobi dans le film original de la saga intergalactique, Rokurota est un guerrier aussi mystérieux que fascinant. Perché en haut d’une falaise où se trouve la fameuse forteresse cachée, le héros fait d'emblée preuve d’un charisme qui contraste avec la peur omniprésente de Tahei et Matashichi. Invisible et imprévisible, le samouraï se faisant passer pour un vagabond dégage dès sa première apparition une aura digne des plus grands guerriers cinématographiques. Sa présence révélée à point nommé rappelle d'ailleurs celle d’Aragorn, qui cache lui aussi son identité, dans Le Seigneur des Anneaux : La communauté de l’anneau.
Dès lors qu’il prend les rênes du récit, Makabe Rokurota fait preuve d’une ruse qui offre à La Forteresse cachée ses plus belles scènes. Pour échapper à l’ennemi comme pour convaincre ses alliés, le samouraï met en place des stratagèmes savoureux, n’hésitant pas à jouer la comédie pour parvenir à ses fins. Plus de soixante ans après sa sortie, le film s’avère toujours aussi réjouissant et amusant grâce à cet archétype du héros qui n’a absolument rien à envier aux figures emblématiques actuelles. Il prouve également que Toshiro Mifune est, à l’instar de son successeur Clint Eastwood dans la trilogie du dollar, l’un des comédiens les plus doués pour mettre en avant cette aura sans le moindre dialogue. Ce sera d’ailleurs également le cas dans Yojimbo et Sanjuro, les deux films de sabre qu’Akira Kurosawa tournera peu de temps après avec son acteur fétiche.
Un film d’aventure extrêmement complet
Au-delà de la figure du mentor et protecteur personnifié par Mifune, La Forteresse cachée présente d’autres archétypes phares du film d’aventure, à commencer par la princesse Yuki. Indépendante, intrépide et extrêmement affirmée du haut de ses seize ans, l’adolescente incarnée par Misa Uehara s’impose elle aussi comme une héroïne typique du genre, dont l’intelligence et la lucidité offrent là encore de nombreuses séquences inventives et réjouissantes. Face à ces deux monuments de bravoure se tiennent évidemment leurs opposés, Tahei et Matashichi, précurseurs des sidekick comiques utilisés à l’excès dans les blockbusters récents.
Qui dit aventure dit évidemment scènes d’action. À ce niveau, Akira Kurosawa se pose comme un modèle du genre. Après avoir soutenu le rythme en enchaînant les péripéties, le réalisateur dévoile notamment au milieu du film un long duel, qui arrive à la suite d’une chevauchée magistrale dotée de prouesses physiques impressionnantes. Se retrouvant seul dans le camp ennemi, Rokurota réussit lors de cette séquence à s’extirper d’une situation où la mort semble être l’unique issue, ce qui assoie encore plus son statut de héros. Alors que le spectateur ne l’avait jusqu’ici pas vu combattre, il découvre lors de ce duel un samouraï hors-pair aux valeurs admirables, avant que le film ne retrouve un tempo effréné jusqu'à la conclusion.
Premier film d’Akira Kurosawa tourné en CinemaScope, La Forteresse cachée est enfin doté de somptueux décors naturels magnifiés par le format, qui ne fait que souligner l’immensité du paysage et la longueur du voyage. Autant d’éléments qui font de ce film d’aventure un chef d’œuvre du genre, véritable source d’inspiration pour les futures générations de cinéastes.
La Forteresse cachée d’Akira Kurosawa, en salle le 17 avril 2019. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.