CRITIQUE / AVIS FILM - Premier long-métrage marquant post-crise des gilets jaunes, "La Fracture" de Catherine Corsini dépeint une France au bord de l'implosion avec un mélange réussi de gravité et d'humour.
La Fracture : diagnostic d'une société au bord de l'implosion
Avant que la France soit frappée par la crise sanitaire, c'est celle des gilets jaunes qui a perturbé l'actualité. Une révolte sociale de la part d'une frange de la population qui se sent abandonnée par le gouvernement. Le cinéma de fiction n'avait pas encore eu trop le temps de s'emparer du sujet mais voilà que La Facture vient enfin lancer les hostilités. Réalisé par Catherine Corsini, le film nous plonge dans une France en souffrance, le temps d'une nuit, dans les urgences d'un hôpital parisien. Des malades/blessés dans tous les sens, une équipe soignante en sous-effectif et des affrontements avec les forces de l'ordre, il n'en faut pas plus pour que le cocktail devienne explosif et que la situation dégénère.
C'est moins le combat des gilets jaunes qu'un constat plus général qui intéresse la réalisatrice. Elle ne cherche même pas à faire un film de manifestation, les passages dans la rue sont d'ailleurs assez succincts et n'ont pas grand chose de plus à ajouter au débat que ce que la télé a déjà montré pendant des semaines. Elle tente d'encapsuler entre les murs d'un hôpital les maux de l'époque du quinquennat d'Emmanuel Macron, qui en prend d'ailleurs directement pour son grade dans le film.
Deux France se rencontrent le temps d'une nuit
On n’a évidemment pas attendu Catherine Corsini pour savoir que des choses ne vont pas dans le bon sens en France. La Fracture ne fait pas l’effet d’une bombe révélatrice, encore plus après une crise sanitaire qui a toujours plus mis en évidence certaines carences. La réalisatrice se concentre sur plusieurs personnages pour dresser un état des lieux alarmant et le choix de l'hôpital publique permet de réunir différentes couches de la population. Ici, les gens modestes et ceux plus aisés sont logés à la même enseigne, confrontés aux mêmes limites du système hospitalier. Le gilet jaune râle autant que la dessinatrice de bande-dessinée pour être pris en charge plus rapidement, et tout le monde se range sous un même pavillon.
Le film n'a pas toute la finesse requise et tombe dans certains travers que l'on voit arriver à des kilomètres. C'est ainsi que Pio Marmaï et Valeria Bruni‑Tedeschi s'échaudent, puis s'entraident, que Marina Foïs se range aux côtés d'un ancien ami, lui aussi gilet jaune, ou qu'elle assiste des plus démunis. On saisit que Catherine Corsini veut soigner la fracture sociale entre la France d'en haut et celle d'en bas mais son désir, de la manière dont elle le présente, souffre d'un sursaut d'optimisme que l'on a du mal à avaler.
Un hommage aux soignants
La Fracture, dans son tourbillon infernal, brasse large, nous plaçant des deux côtés de la barrière (patients et soignants) ainsi qu'en multipliant les personnages annexes (on pense au fils, qui passe du temps avec ses amis à la manifestation). À la manière de l'excellente série Hippocrate, la description du monde hospitalier touche à une forme de vérité impossible à nier. C'est sûrement envers les soignants que le film est le plus tendre, les montrant comme le dernier rempart.
On comprend que tout ce qui est décrit est le résultat d'une macération de longue date et que la plaie a largement eu le temps de s'infecter. Malgré toute la gravité - que ce soit celle de l'instant ou celle générale -, La Fracture est un film à la drôlerie imparable (mention spéciale à Pio Marmaï, moins à Valeria Bruni-Tesdechi en totale roue libre). Ce choc entre l'alarmant et l'humour provoque à la fois des sas de décompression mais accentue également toute la folie de la situation. On en sort secoué.
La Fracture de Catherine Corsini, en salle prochainement.