CRITIQUE FILM - Après « Le Nom des gens » et « Télé Gaucho », Michel Leclerc revient avec un film qui lui ressemble : « La Lutte des classes ». Toujours gourmand lorsqu’il s’agit de composer des personnages loufoques et convaincus, Michel Leclerc transforme Edouard Baer et Leïla Bekhti en couple tourmenté, tiraillé entre ses valeurs et ses angoisses parentales.
Dans Le Nom des gens, Sara Forestier – alias Bahia Benmahmoud – couchait avec des hommes de droite dans l’espoir de les faire passer à gauche. Deux ans plus tard, Télé Gaucho suivait un groupe de jeunes à la tête d’une chaîne locale anarchiste (Télé Gaucho), férocement engagé contre l’oppression des citoyens et pour la liberté d’expression. L’inspiration de Michel Leclerc ne tarit pas lorsqu’il est question de scruter les convictions d’une gauche déchue qui en veut ! Taquin mais toujours bienveillant, le cinéaste a l’art et la manière de composer des microcosmes qui, aussi extravagants qu’ils soient, sonnent toujours justes.
Pour ce troisième long-métrage, il s’attaque à l’opposition qui se creuse entre « deux écoles » : celle des « riches » et celle des « pauvres ». Alors que Sofia et Paul viennent d’emménager dans une petite maison de banlieue, ils se retrouvent confrontés à un problème de taille : tous les amis de leur fils désertent l’école publique au profit de l’institution catholique Saint-Benoît. Bientôt, Corentin - dont la mère est pourtant d’origine maghrébine -, écope de l’étiquette de « babtou fragile ». Lorsqu’il se met à traîner des pieds pour aller à l’école, le couple, crûment attaché aux valeurs de l’école républicaine, voit ses certitudes s’effriter. Tous vont subir les affres de la « lutte des classes ».
La cité de la peur
La nouvelle comédie de Michel Leclerc s’amuse des paradoxes de la gauche. Edouard Baer, absolument parfait dans le rôle du batteur punk-rock et anar, participe grandement à la réussite du comique de situation. Il incarne Paul, le père, réfractaire à toute idée de réussite sociale ou d’embourgeoisement. Lui qui refusait de vendre son appartement plus cher qu’il ne l’avait acheté, fier de n’en tirer aucun profit, va se heurter à une réalité qu’il ignorait jusque-là : il est passé du côté des bourgeois. L’évolution de la société l’a peu à peu écarté du "gaucho" qui crachait sur les "richous" dans ses textes révolutionnaires.
Quant à Sofia (Leïla Bekhti), brillante avocate d’origine maghrébine pour qui l’ascenseur social a marché, elle peine à accepter l’idée que son fils puisse être perçu comme un « petit Blanc ». Michel Leclerc se moque gentiment des contradictions de ses personnages et les fait se chamailler autour des deux fondamentaux de la gauche : la défense des minorités (à travers Sofia) et le combat contre l’autorité et la morale (à travers Paul).
Ce que pointe également le réalisateur, c’est une société trop souvent dominée par la peur. Monsieur Toledano, le voisin obsédé par la sécurité, en est une illustration parfaite. Ce dernier ne jure que par des technologies rocambolesques censées dissuader quiconque d’entrer chez lui par effraction. Puis il y a la peur de l’échec, la peur de l’autre, dépeinte par ces parents angoissés pour l’avenir de leurs enfants, persuadés que l’école publique du quartier est un frein, un risque. L’institutrice, campée par Baya Kasmi, n’ose plus utiliser certains mots. Il faut tout enrober, tout édulcorer, de peur d’inquiéter les enfants. Et plus le film progresse, plus Sofia et Paul ont peur pour leur enfant, peur d’avoir à changer de camp.
Du léger avec du lourd
Michel Leclerc parvient à aborder des sujets sensibles et lourds avec une extrême légèreté. Il s’autorise de bonnes caricatures sans jamais tomber dans la stigmatisation, puisant sa force dans l’exagération des traits plus que dans la quête du ridicule. Il brasse les angoisses de notre société et cherche moins à trouver des réponses qu’à les questionner. Avons-nous raison d’avoir peur ? Est-ce que toutes ces craintes sont avérées ou sont-elles de l’ordre du fantasme ?
Avec ce titre à double lecture, le réalisateur s’interroge sur l’avenir de l’école publique et sur les tensions communautaires. Les idéaux d’égalité si chers aux générations précédentes, sont-ils sur le point de tomber ? Pour le cinéaste, il ne fait pas de doute : l’école publique est une richesse. Elle est le lieu du mélange, la possibilité de confronter des gens qui ne se ressemblent pas. Mais si Michel Leclerc défend cette mixité sociale et craint une société dans laquelle chacun reste parqué dans sa condition bien établie, il ne fait pas fi des désaccords que tout cela engendre.
La lutte des classes se regarde comme une comédie divertissante qui invite néanmoins à la réflexion. La religion, le port du voile, le harcèlement scolaire, sont autant de sujets dans lesquelles le cinéaste ose se lancer. Provocateur mais jamais moralisateur, Michel Leclerc multiplie les points de vue et ne pose de jugement sur aucun. Fuyant toute vision manichéenne, il fait le choix de clôturer son film sur une métaphore. Hormis une ou deux séquences un peu trop mélodramatiques, le troisième long-métrage de Michel Leclerc, dans la même veine que les précédents, amuse, pique, et attendri.
La Lutte des classes de Michel Leclerc, en salle le 3 avril 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.