CRITIQUE FILM - Comme le titre de ce long-métrage l’indique, les souvenirs sont parfois flingueurs. Si on est le roi du crime, peuvent-ils réduire une passion mortifère en cendres ? Critique d'un film surfant certes sur quelque esbroufe, mais mené à bâtons rompus et porté par un personnage central fort et original, à l’interprétation hypnotique.
La Mémoire Assassine a obtenu le Prix du Jury du 10è Festival du Film Policier à Beaune dimanche 8 avril. Disponible dès aujourd'hui sur la plateforme française SVOD e-cinema.com, que vaut ce thriller asiatique ?
Un postulat séduisant
Partir d’où on ne s’attend pas pour arriver là où on ne s’attend plus à rien. Voilà une phrase un peu nébuleuse ; elle est à l’image du fil conducteur du dernier film de Won Shin-yeon, La Mémoire Assassine. Dans ce long-métrage sud-coréen, le protagoniste Byung-su (Sol Kyung-gu) est un tueur en série. Ne serait-il pas plutôt un assassin retraité ? C’est du moins ce dont il est convaincu, lui qui n’aurait pas de sang sur les mains depuis 17 longues années. Sauf qu’il souffre de la maladie d’Alzheimer, alors il commence lui-même à douter de sa mémoire.
Ne serait-il pas quand même un peu un assassin repenti ? C’est possible, puisqu’il lui arrive d’exprimer quelques regrets quant à ses crimes passés. Mais il sait qu’il risque gros s’il est découvert. Il faut dire que son meilleur ami est un policier qui le recherche sans le savoir... Reste-t-il un homme qui a envie de tuer ? Définitivement ! S’il y a bien un geste qu’il envierait de reproduire, c’est celui d’enserrer de ses mains un cou implorant sa clémence. Précisément le cou du fiancé de sa fille, Tae-ju, vis-à-vis duquel il éprouve de la crainte et de la haine depuis qu’il a vu dans son coffre du sang. Sa fille, Eun-Hee, étant sa raison de vivre, un dernier crime pour la sauver d’un tueur n’aurait rien de blâmable…
Byung-su éprouve plusieurs sentiments ambivalents envers son passé de criminel et il ne sait pas exactement où se situer maintenant par rapport à celui-ci, et c’est bien le véritable drame de son existence. Il se définit en tant qu’ex-tueur en série et il est plus obsédé encore par la légitimité de ce statut que par le bien-fondé de ses crimes, même s’il fait croire le contraire au spectateur (selon lui, chaque mort l’aurait bien cherché). Il s’identifie à eux comme s’ils étaient des prolongements de lui-même. Byung-su se réduit en quelque sorte au titre qu’il se donne. C’est un tueur, point. Et seuls les tueurs peuvent comprendre ce que sont les tueurs. Et seul un tueur peut reconnaître un autre tueur.
Cette constatation, qui aurait pu être évaluée comme figurative d’une base pauvre pour une caractérisation réussie d'un personnage de fiction, apparaît ici des plus réjouissantes. Elle débarrasse de certaines fioritures et dresse le portrait brut d’un tueur en série qui ne serait après tout rien d’autre que ce qu’il prétend incarner. Cet anti-héros d’Orient serait le plus authentique des hommes, car il se verrait d’abord par sa part d’ombre. Or, comme le révèle le regretté psychanalyste Michel de M’Uzan,« le « Je » le plus vrai ne peut être ailleurs que dans l’élaboration de l’instinct, c’est-à-dire dans ce qu’il y a de plus essentiel et, comme l’inconscient lui-même, de plus inacceptable pour l’esprit.»
Un peu "tout noir et tout blanc"
Bien que l’expression apparaisse galvaudée ces temps-ci, « la psychologie du personnage » est pour ces raisons, dans le premier tiers du film, sublime. Pourquoi arrêter le sens de ce qualificatif au premier tiers seulement ? Parce que le film devient ensuite véritablement un thriller psychologique, dans lequel chaque scène nuance la précédente et apporte des éléments de contradiction visant à cerner la psyché de Byung-su, et ce hélas jusqu’au point de « non retour » : apporter un doute raisonnable au spectateur quant au titre de tueur en série que Byung-su se donne. Dès lors, le propos du film devient plus classique et se traduit par la plus simple des formules : « sommes-nous en présence d’un fou ? ».
Santé ou maladie, normalité ou anormalité, réalité ou irréalité, vérité ou mensonge, souvenir ou fantasme… Où est la frontière ? Par cette question qui ne suppose jamais de réponse absolue, La Mémoire Assassine agrippe tout à chacun sur son siège. A coup de twists scénaristiques, les cartes sont rabattues à un rythme frénétique, mettant à mal un certain nombre de présupposés qui peuvent se formuler entre le début et la fin de la projection.
Mais qu’importe l’étiquette qu’on peut tenter d’accoler à Byung-so, la sympathie envers son personnage demeure. Soyons clairs : il est irrésistiblement amusant pour un tueur en série. Drôle par ses spasmes de psychopathe, drôle par son incapacité à rire des choses au moment opportun, drôle par sa fuite ô combien normale face à une femme surexcitée qui cherche à le séduire, drôle par les raviolis géants qu’il ingurgite, drôle par les oublis quotidiens provoqués par sa maladie. La liste continue. L’anti-héros devient carrément héroïque et virtuose quand il se bat à la manière d’un Jackie Chan. Le régal est garanti pour les friands de ces scènes d’action qui présentent le protagoniste comme perdu d’avance avant de l’ériger en dieu olympien. La crédibilité pêche mais le plaisir est assuré.
Passionnément sans fin
Cinéma coréen oblige, la figure stéréotype du policier local est de nouveau à l’œuvre : les forces de l’ordre apparaissent comme immatures, et, en situation de détresse, inefficaces. L’endurance est de mise dans l’emploi de certains objets faisant avancer l’intrigue ; malheureusement ils ne s’élèvent pas au McGuffin Hitchockien.
Toutefois, ces gros sabots restent à la pesée assez légers et ils n’écrasent pas la délicatesse diffuse des premières scènes. Durant celles-ci, les proches de Byung-su, - sa fille et son meilleur ami -, s’adaptent à sa maladie nouvellement révélée. L'un des grands thèmes de l'histoire - l'empathie - s'installe alors en filigrane. Le mélange des genres entre le thriller et la comédie dramatique fonctionne particulièrement bien et se révèle comme étant l’un des points forts du long-métrage. Néanmoins, il y a simplement à espérer que la prochaine fois, Won Shin-yeon fasse le choix du démiurge qui sait jouir de confiance aveugle : savoir qui est son personnage-clé.
La Mémoire Assassine de Won Shin-Yeon, en e-cinéma le 13 avril 2018. Ci-dessus la bande-annonce.