CRITIQUE FILM - Cette production internationale, récompensée du Grand Prix du Festival de Tokyo 2017, est autant un film de science-fiction que d'art et d'essai. Entremêlant manifeste écologiste et quête spirituelle, "La Particule humaine" nous plonge dans le monde post-apocalypse environnemental.
Huit ans après le dernier volet de sa fameuse Trilogie de Yusuf, Miel, Ours d’Or à Berlin en 2010, le réalisateur turc Semih Kaplanoğlu présente avec La Particule humaine un film très particulier. Comme ses précédents films, il est d’une beauté plastique à couper le souffle. Dans un noir et blanc du plus bel effet, les personnages évoluent à tâtons dans des plans fixes et patients. En 35mm et avec des scènes initialement tournées en couleurs pour affiner le noir et blanc final, la photographie est d’une grande qualité. C’est le support parfait pour un film très contemplatif, où le drame collectif se mue en la quête introspective d’un homme, ou plutôt, de l’Homme.
La Particule humaine, une oeuvre poétique très actuelle
Ce drame est celui de notre début de siècle : le bouleversement criminel par l’homme de son environnement. Dans un futur relativement proche, les manipulations génétiques ont dégradé tous les écosystèmes et finalement tué le monde vivant. Dans un monde dictatorial et coupé entre la Ville et les Terres mortes, et dans une ultime lutte pour la survie de l’espèce humaine, Erol Erin, un généticien spécialiste des semences, entreprend de retrouver un théoricien disparu.
Semih Kaplanoğlu est un réalisateur de grand talent, et la facture de son film en est la preuve. Le scénario est érudit. Il s’inspire en effet d’une sourate du Coran, et d’une manière générale laisse libre cours à une spiritualité œcuménique tendant vers un spectre métaphysique large. Pour son inscription dans le genre de la science-fiction, et dans son ambition allégorique, La Particule humaine est très inspiré du Stalker d’Andrei Tarkovsky. C’est effectivement dans ce modèle de cinéma que le film de Kaplanoğlu veut se fondre, avec une économie de mots et une aridité éloquentes.
Jean-Marc Barr, dont le magnétisme est imperméable au temps qui passe, joue parfaitement ce rôle d’un chercheur à qui il reste un peu d’idéalisme, mais dont il devra se dépouiller. Il incarne intelligemment cet état d’abandon, de transition à la fois grave et légère vers le dénuement. Une fois passé la meurtrière frontière et entamé son périple dans les Terres Mortes, il retrouve le professeur Cemil Akman. Cette rencontre avec cette figure prophétique bouleverse sa vision du monde. La pénibilité de leur chemin et de leurs tâches remplace alors les dialogues pour insister sur la brutalité, mais aussi la beauté, de ce changement radical.
Avancer encore, jusqu'aux points aveugles
Le sujet du film est ainsi de montrer ce nécessaire retour littéral à la terre - si tant est qu’il en reste de « pure », de ramener l’homme au sein de la nature, et d’arrêter de le maintenir au-dessus de celle-ci, en position de domination illusoire et autodestructrice. Si on comprend bien cet argument, l’effort pour illustrer ce changement de paradigme est très honorable, mais aussi très fatigant. Le film est en effet trop long, et à mesure que veut se révéler une vérité, en réalité elle se dissout dans des séquences oniriques qui jettent un voile métaphysique illisible sur le tout. Le spectateur contemple, Erol Erin contemple aussi, et il est donc difficile d’établir toutes les frontières du récit.
La Particule humaine est un film soigné et au propos très intéressant, radicalement de son temps dans ses dimensions politique et artistique. Cependant, déterminé à unir harmonieusement le drame écologique à une quête spirituelle intemporelle, le film en fait trop et sa belle idée finit par se brouiller. Un très joli geste, fragile et forcément imparfait, comme la cause qu’il veut défendre.
La Particule humaine de Semih Kaplanoğlu, en salle le 10 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.