AVIS / CRITIQUE FILM - Après "Une affaire de famille", Hirokazu Kore-eda opte pour un changement de décor radical avec "La Vérité". Pour ce drame porté par les grandes Catherine Deneuve et Juliette Binoche, le réalisateur japonais s’est déplacé à Paris pour s’intéresser à la relation entre une star du cinéma et sa fille. S’il n’a pas l’intensité émotionnelle de son précédent long-métrage, le film brille malgré tout par ses nombreuses qualités.
En mai 2018, Hirokazu Kore-eda décrochait la Palme d’or pour le sublime Une affaire de famille. Un an après la sortie de ce drame centré sur des oubliés de Tokyo, le cinéaste japonais pose ses caméras dans la capitale française avec La Vérité. Il se focalise cette fois-ci sur un personnage à l’opposé de ceux de son précédent film, à savoir une femme qui n’a jamais quitté la lumière. Mais comme eux, cette star vieillissante incarnée par Catherine Deneuve se sert du mensonge pour préserver le semblant d’équilibre qu’elle a su construire.
La Vérité démarre au moment où Lumir (Juliette Binoche), scénariste installée à New York, revient dans la demeure parisienne de sa mère Fabienne (Catherine Deneuve), icône du cinéma français qui vient de publier ses mémoires. Accompagnée de sa fille (Clémentine Grenier) et de son mari Hank (Ethan Hawke), Lumir va d’abord être effarée par les calomnies la concernant dans cette autobiographie, avant de tenter de comprendre ce qui anime sa mère.
Une nouvelle affaire de famille
Dans Une affaire de famille, le petit groupe installé dans une bicoque usait du mensonge pour tenter de préserver le sentiment d’union qu’il avait su développer. Au contraire, dans La Vérité, les personnages confortablement lotis y ont recours pour fuir toute proximité entre eux et assumer le moins possible leurs liens familiaux pourtant bien réels.
Au premier abord, l’apparente distance entre Fabienne et Lumir freine l’émotion dans cette nouvelle variation du réalisateur de Tel père, tel fils autour de son thème de prédilection. Pour sa rassurer, l’icône du cinéma français se refuse à toute déclaration solennelle envers sa famille, ce qui la rend en réalité d’autant plus touchante. Tournant le dos à toute gentillesse au risque de se brûler, Catherine Deneuve livre une performance empreinte d’une pudeur bouleversante, esquivant les marques d’affection avec la grâce qui la caractérise.
À l’inverse, Lumir et les siens multiplient les tentatives pour amorcer la communication, qui finira par naître naturellement grâce au tournage d’un film. En acceptant le rôle d’une fille dont la mère a toujours brillé par son absence, Fabienne prend conscience des ravages du temps et de l’absence de dialogue, sous le regard attendri d’une Juliette Binoche au sommet. Le long-métrage rappelle ainsi que le cinéma n’est fait que de trucages et d’illusions, mais que ces mensonges peuvent s’avérer salvateurs. Hirokazu Kore-eda semble en tout cas convaincu de leur pouvoir de guérison, voire de réconciliation.
Difficile de ne pas se laisser emporter par les conversations entre les deux comédiennes, par leur recherche ou leur négation de la vérité subtilement mises en avant par Kore-eda, qui maîtrise parfaitement l’art du non-dit et les trésors qu’il dissimule. Peu à peu, la cruauté s’efface au profit d’une bienveillance d’abord feinte puis sincère, qui fait toujours mouche.
Un Japonais à Paris
La Vérité offre par ailleurs à Catherine Deneuve un rôle reflétant son propre parcours. Comme elle, Fabienne a remporté deux César au cours de sa carrière, dont un pour un film dont la trame évoquée brièvement n’est pas sans rappeler celle du Dernier Métro. L’héroïne a également vécu une rivalité au début de sa carrière avec une proche décédée trop jeune, à l’image de la comédienne et sa sœur, la regrettée Françoise Dorléac.
L’admiration de Kore-eda pour la légende qu’il filme saute aux yeux, au même titre que son amour pour le cinéma français. Le réalisateur se frotte ici à des paysages et un langage qu’il n’a jamais eu l’occasion d’explorer auparavant, mais avec lesquels il est très à l’aise. Au lieu d’embellir Paris à la manière d’une carte postale de pacotille, le cinéaste plante la plupart de son cadre dans la demeure de Fabienne, sublimée par les couleurs automnales d’Eric Gautier (Un conte de Noël, Sur la route), ainsi que dans le studio où se déroule le tournage du faux film.
Lorsqu’il s’en écarte, le temps d’une balade nocturne, d’une danse ou d’un face-à-face dans un café, le film s’accorde alors davantage de mouvement et de poésie. Il confirme l’impression que les personnages ne quittent jamais leur cocon, familial et professionnel, mais qu’ils réussissent enfin à s’en détacher avec une certaine décontraction. À l’inverse, les séquences en intérieur jouent davantage sur des plans serrés, mettant ainsi en valeur les visages des protagonistes, bien plus révélateurs que leurs paroles. La tristesse enfouie de Juliette Binoche est par exemple magnifiée par ces gros plans, au même titre que la prestance constante de Catherine Deneuve.
S’il risque d’agacer des spectateurs dans sa manière d’évoquer le milieu du septième art, dépeint ici comme étant cloisonné et privilégié, La Vérité n’en demeure pas moins un drame extrêmement touchant, au propos universel. Le film propose une superbe confrontation entre les deux comédiennes principales, qui offrent des moments bouleversants.
La Vérité de Hirokazu Kore-eda, en salles le 25 décembre 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.