Laissez bronzer les cadavres - Notre avis

Laissez bronzer les cadavres - Notre avis

Brutal et stylisé, le film d'Hélène Cattet et Bruno Forzani rend un hommage réussi à l'univers de Jean-Patrick Manchette, en même temps qu'il se sublime en une déclaration d'amour au cinéma de genre.

Le titre est puissant, dérangeant, provocateur. L'affiche et la bande-annonce suivent strictement des standards issus d'un cinéma glorieux et d'une époque révolue. En effet, Laissez bronzer les cadavres ! s'affiche en lettres capitales rouges sur fond noir, rythmées par des coups de feu et des plans serrés sur les regards. Alors qu'il sort en 2017, on pourrait presque croire le film ressorti d'une caisse poussiéreuse de séries B.

L'histoire de Laissez bronzer les cadavres ! est simple. Rhino et sa bande, braqueurs sans scrupules, se réfugient dans un hameau méditerranéen occupé par un écrivain dépressif et une artiste mystérieuse. Mais à la recherche de l'or dérobé par Rhino, des flics et d'autres invités surprises vont rejoindre cette compagnie explosive. Et au milieu de ce village abandonné où la cloche sonne encore gravement, ces personnages vont d’entre-tuer dans un spectacle visuel et sonore remarquable. Si l'accroche et le synopsis font dans la simplicité, cela cache bien le jeu d'un long-métrage qui surprend par son ambition et sa maîtrise.

Laissez bronzer les cadavres – Notre avis

Publié en 1971, le roman de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid dont est adapté le film, fut à l'époque un succès et marqua le renouveau du polar, dans un genre très noir. À cette époque, la peine de mort existait toujours, la "haine du flic" était courante, et les voyous étaient les nouveaux héros. En adaptant ce polar à la manière d'un western transalpin, Hélène Cattet et Bruno Forzani rendent un hommage appuyé et réussi à la richesse esthétique et littéraire de cette contre-culture.

Les tous premiers plans du film sont à ce niveau particulièrement remarquables. Un coup de feu claque violemment, de la peinture se répand. L'objectif de la caméra traverse la toile par le trou créé par la balle. Tout est contenu dans cette brève introduction : le désir ardent de mort, de sexualité, l'art comme pénétration de quelque chose. En hommage respectueux de l'univers de Manchette, la matière est là hautement jouissive et inflammable.

Une merveille de minutie et de sensations

Dans leurs deux précédents films (Amer et L'étrange couleur des larmes de ton corps), les auteurs Hélène Cattet Bruno Forzani avaient montré tout leur souci de bien monter et mixer chaque seconde. Ici, il y a comme un air de perfection. D'entrée, le spectateur est saisi par la lumière éblouissante et l'impact assourdissant de chaque coup de feu. Le métal, la sueur, le sang, le feu, tout cela va se mélanger à une autre matière : l'or. Ce même or qui a été volé avec ultra-violence et que maintenant chacun convoite.

Les personnages de ce qui s'apparente alors à une tragédie sont tous parfaits dans leurs rôles. Les flics sont autant raisonnés et mécaniques que les criminels sont bestiaux et charnels. La folie de chacun s'insinue un peu plus dans chaque plan, pour mieux conduire au final qui verra les trahisons et les vengeances triompher. D'autres personnages, "otages" de la situation, apportent à l'affrontement ce qu'il faut d'innocence, mais d'une manière ambiguë et finalement tout aussi menaçante.

Laissez bronzer les cadavres – Notre avis

La distribution rassemble ainsi, notamment, une vraie "gueule" du cinéma français (Stéphane Ferrara, exceptionnel en sanguinaire chef de bande), et une actrice d'envergure internationale. Celle-ci, Elina Löwensohn, vue entre autres dans La liste de Schindler, incarne Luce. Cette artiste, personnage secondaire dans le roman de Jean-Patrick Manchette, est le personnage principal de l'adaptation. Objet de désir, traîtresse, séduisante et effrayante, elle prend du plaisir dans un carnage qu'elle vit comme l'ultime performance artistique.

Du film de genre à l'œuvre d'art

Laissez bronzer les cadavres ! propose ainsi une mise en abyme vertigineuse. Parce que, progressivement, l'importance du point de vue de Luce s'accroît, et on passe de la narration clinique du polar noir à la performance artistique. Aux plans de gunfight succèdent des scènes hallucinées, où l'or a remplacé le sang et la musique les cris d'agonie. Le tour de force des réalisateurs est magistral. Dans l'adaptation du roman de Manchette, ils ne montrent évidemment aucune noblesse des motifs et des personnages, aucune perspective "bourgeoise". Mais ils parviennent cependant à dégager une émotion d'une intensité rare, voire unique au cinéma. Le règlement de comptes initial tourne ainsi au happening, et le film noir Laissez bronzer les cadavres ! devient une œuvre d'art contemporain.

Les réalisateurs sont de vrais passionnés de cinéma italien. Leurs deux premiers films exploraient le giallo et celui-ci le genre du western spaghetti. Mais ils revendiquent surtout une grande curiosité et un amour profond de tous les cinémas plutôt que des références directes. Libre donc au spectateur d'y trouver la magnificence taiseuse des films de Melville, la radicalité du geste d'un Reservoir Dogs, et la majesté ironique des grands western-spaghetti.

Malgré un petit budget et des conditions de tournages difficiles, Hélène Cattet et Bruno Forzani délivrent ainsi avec leur nouveau film une performance majeure. Dans un cinéma français souvent trop facile et où les réussites du genre noir sont des exceptions, Laissez bronzer les cadavres ! est une expérience cinématographique totale, et géniale.

 

Laissez bronzer les cadavres ! de Hélène Cattet et Bruno Forzani, en salle le 18 octobre 2017. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la rédaction

"Laissez bronzer les cadavres" s'adresse à un public cinéphile et averti. Violent, sulfureux et passionné, il offre une expérience rare au spectateur. Chef d'oeuvre esthétique et hommage vibrant au genre du film noir, ce film est une très belle surprise et une oeuvre nécessaire dans un cinéma français trop facile.

Premier de la classe

Note spectateur : Sois le premier