CRITIQUE/AVIS FILM - 13 ans après "Largo Winch 2", Tomer Sisley est de retour pour une nouvelle aventure du célèbre héros de bande dessinée. Et à force de bastons brutales, d'un duo efficace formé avec Élise Tilloloy, et d'une envie sincère de prendre une place légitime dans le cinéma d'action, ça fonctionne.
L'increvable Largo Winch de retour
Après un deuxième opus en 2011 qui n'avait convaincu ni le public, ni la presse, et s'était même attiré le désaveu de Jean Van Hamme, créateur de la célèbre série de bandes dessinées Largo Winch, on pouvait croire que les aventures du milliardaire et orphelin, beau gosse bagarreur et redresseur de torts, s'arrêteraient là. Mais 13 ans plus tard, Tomer Sisley retrouve le personnage qui l'a révélé sur grand écran dans Largo Winch : Le Prix de l'argent. Preuve d'une ténacité, et d'une témérité peut-être, qui a au moins le mérite d'assurer que son acteur principal, le nouveau réalisateur Olivier Masset-Depasse, ses équipes et les producteurs du film croient dur comme au fer à l'avenir de la saga.
Y croire, c'est bien tout l'enjeu de ce troisième film Largo Winch. Enjeu de son histoire, comme de son existence dans l'industrie du cinéma. Croire que Largo retrouvera son fils Noom, enlevé dès les premières minutes du film par de mystérieux hommes armés. Croire que, maintenant plus âgé, Largo a toujours l'énergie pour se battre, vaincre les méchants, et adapter son conglomérat d'entreprises à un monde qui a changé et où les milliardaires ne sont plus des modèles mais des contre-exemples.
Aussi, croire qu'on peut faire, pas aussi bien mais pas trop loin, comme les grandes sagas du genre, James Bond, Jason Bourne et Mission : Impossible. Les moyens ne sont pas les mêmes, les stars ne sont pas les mêmes, la popularité du personnage n'est pas la même. Et pourtant... Pourtant, à voir Tomer Sisley donner de sa personne dans une réjouissante scène de course-poursuite en introduction, dévaler une route enneigée sur une luge de circonstance avec la jeune et charismatique Élise Tilloloy, s'échanger des coups brutaux avec un ennemi mortel incarné par James Franco, on ne peut pas vraiment bouder son petit plaisir.
Changement de génération et de monde
Dans ce nouveau film, qui adapte librement le diptyque Le Prix de l'argent et La Loi du dollar, publié en 2004 et 2005, Largo est un père (invention totale par rapport à l'histoire de la BD). Cette nouvelle dimension du personnage change tout : par rapport à la bande dessinée, où le personnage vieillit très peu, le voilà aux prises avec une jeune génération, et donc la sienne aussi, vieillissante et décriée. Cet enracinement dans une temporalité concrète colle parfaitement avec l'évolution de la société qui est décrite.
En plus de devoir retrouver son fils, Largo doit aussi adapter le conglomérat W aux nouveaux défis de notre monde, particulièrement l'enjeu environnemental. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le directeur d'une de ses filiales engagée dans l'énergie verte se suicide en direct lors d'une retransmission télévisée. Les ennemis sont extérieurs comme intérieurs, et Largo découvre vite que quelqu'un de son groupe travaille à son effondrement. Accusé à tort du meurtre de la veuve de son ancien collaborateur, il va rencontrer Bonnie (Élise Tilloloy), une jeune orpheline québecoise et aspirante influenceuse. Ensemble, ils vont tout faire pour retrouver Noom et mettre à jour la conspiration qui vise à le détruire lui et le groupe W.
Une volonté décuplée dans des effets limités
Il y a des limites techniques dans ce Largo Winch 3. Notamment sur les effets spéciaux, dont on perçoit trop par moments les différentes couches qui composent les images. Mais ces limites visuelles sont compensées par l'investissement total du casting, tout particulièrement Tomer Sisley et Élise Tilloloy.
L'acteur franco-israélien n'a rien perdu de son charisme, partagé entre l'impulsivité du voyou et la détermination froide de l'entrepreneur à succès. Surtout, il assure lui-même des cascades très satisfaisantes. À pied, en voiture, sous l'eau, à mains nues comme avec un couteau ou le flingue à la main, Largo Winch est avant tout un action hero et Tomer Sisley remplit parfaitement les défis physiques de ce registre.
Dans le rôle de Bonnie, dont la seule donnée inconnue est le choix d'une actrice française pour un personnage à l'accent québecois, Élise Tilloloy déploie une énergie renversante. En l'absence de Noom, c'est elle qui incarne la jeune génération du film, et assure donc tous les décalages humoristiques générationnels qui font le sel de son duo avec Tomer Sisley. Ce nouveau personnage est une réussite, et la jeune actrice s'en tire avec plus que les honneurs.
On notera aussi la présence au casting de James Franco. Méchant principal mais personnage secondaire, on ne le voit ainsi pas beaucoup. Mais ses séquences - violentes - partagées avec Tomer Sisley fonctionnent, et c'est finalement assez rafraîchissant de revoir l'acteur américain dans un rôle d'antagoniste, ce qu'il n'a pas beaucoup fait mais lui a toujours réussi (mention spéciale pour son rôle mémorable dans Spring Breakers d'Harmony Korine).
Un auteur qui réussit sa conversion à l'action
À la réalisation, après les deux films mis en scène par Jérôme Salle, c'est le réalisateur et scénariste belge Olivier Masset-Depasse qui a été sollicité. Un choix intéressant, parce que celui-ci s'est fait connaître dans le cinéma d'auteur avec Cages, Illégal et Duelles. Passé du côté de l'action, il montre qu'il en maîtrise les codes, portant sa caméra sur Tomer Sisley dans des séquences spectaculaires, avec un soin sensible apporté à de grands décors situés aux quatre coins du monde.
Cependant, piège inévitable des sagas d'action, c'est le scénario qui se montre parfois confus et faible dans Largo Winch : Le Prix de l'argent. Avec des raccourcis, facilités et quelques incohérences qui malheureusement vont contre les intentions profondes de raconter aussi dans ce récit explosif une histoire de filiation entre orphelins, et proposer une réflexion sur la société capitaliste contemporaine.
À la différence donc des grandes productions du genre qui veulent et peuvent tout faire, la saga Largo Winch ne peut pas tout faire. Mais elle essaye néanmoins avec une sincérité et un investissement très tangibles, à sa mesure, dans l'économie d'un cinéma européen qui peine à concurrencer celle d'Hollywood. Imparfait sans doute, faillible certainement, Largo Winch : Le Prix de l'argent s'amuse cependant et y croit si intensément, si généreusement, qu'on peut alors y croire aussi.
Largo Winch : Le Prix de l'argent d'Olivier Masset-Depasse, en salles le 31 juillet 2024. Ci-dessus la bande-annonce.