CRITIQUE / AVIS FILM - Avec "Le Cercle des neiges", Juan Antonio Bayona fait le récit du terrible drame de la cordillère des Andes, dans un grand film de cinéma aussi spectaculaire que poignant. Une réussite sur tous les plans, et déjà un des plus beaux films de l'année.
Juan Antonio Bayona à haute altitude
Après quatre longs-métrages, couronnés par un succès critique et commercial - on lui doit le meilleur film de la saga Jurassic World -, Juan Antonio Bayona s'est naturellement imposé comme un des grands réalisateurs espagnols contemporains, et un cinéaste aussi bien attiré par le genre de l'horreur que par les adaptations d'histoires vraies.
Son deuxième film, The Impossible (2012), récit de la survie d'une famille lors du tsunami meurtrier de décembre 2004, en était la démonstration : un survival aux séquences horrifiques pour raconter l'histoire vraie de María Belón. Une production espagnole avec un casting britannique (Naomi Watts, Ewan McGregor et Tom Holland) qui lui ouvre alors les portes d'Hollywood, où il réalise Quelques minutes après minuit en 2016 et Jurassic World : Fallen Kingdom en 2018.
Son nouveau film, Le Cercle des neiges, que Netflix a eu l'excellente idée de coproduire et de distribuer, ne laisse le doute planer que quelques minutes. Il s'agit bien là de son meilleur film, aussi abouti qu'il est risqué, visuellement stupéfiant et émotionnellement - on le ressent d'emblée - bouleversant.
Horreur et histoire vraie
Le 13 octobre 1972, un appareil de la force aérienne uruguayenne s'écrase dans la cordillère des Andes, à 3600 mètres d'altitude. Des 45 occupants de l'avion, 17 décèdent sur le coup ou dans les heures qui suivent. Dans des conditions climatiques épouvantables, sans nourriture et sans moyen de communications, ils vont alors avoir recours au cannibalisme pour survivre. 12 autres ne survivent pas durant les deux mois qui suivent, avant que les 16 survivants restants ne soient enfin secourus.
En retournant avec Le Cercle des neiges à ce qui l'inspire profondément - l'histoire vraie et l'horreur qu'on peut y associer -, Juan Antonio Bayona ne choisit cependant pas d'oeuvrer dans sa zone de confort. Au contraire, en revenant à une production hispanophone (Espagne et Uruguay), en confiant les interprétations à des acteurs inconnus, et en se saisissant du drame de la Cordillère des Andes, grande tragédie nationale uruguayenne, Juan Antonio Bayona choisit de se mettre dos au mur : rater ce projet aurait été comme signer son arrêt de mort professionnelle.
Heureusement pour lui, et pour nous, Le Cercle des neiges est un grand film de cinéma, une grande oeuvre de fiction cinématographique qui a force de documentaire, un document qui est aussi un hommage, et enfin le spectacle époustouflant d'une jeunesse dont le mauvais sort a pour toujours volé l'innocence mais sublimé l'humanité.
Un auteur en compassion
Juan Antonio Bayona raconte ainsi cette histoire, en adaptant le livre de Pablo Vierci Le Cercle des neiges paru en 2009. Dans le film, la narration est confiée à un des passagers qui n'a pas survécu, Numa. Une transmission par les morts, ceux qui n'ont pas pu être sauvés, et donc une subjectivité assumée du point de vue qui éloigne le propos d'une pure reconstitution des faits.
Si Le Cercle des neiges peut être rangé dans le genre du thriller, c'est ainsi dans sa veine psychologique. Plus que matériel, l'enjeu est ici spirituel : comment survivre en esprit, comment rester humain quand tout revient à la loi du plus fort ? Mais Juan Antonio Bayona n'évacue pas les faits et les représente directement : l'embarquement dans l'avion, le crash et sa mise en scène aussi vive que terrifiante, l'aménagement sommaire de la carcasse pour tenter d'y survivre, la décision de manger les corps des morts, préservés par le froid...
Le cannibalisme est évidemment ce qui a donné à ce drame sa notoriété, cet élément aussi vrai qu'il est horrifique et fascinant. Mais très loin d'en faire du sensationnalisme et du voyeurisme, le réalisateur montre plutôt la difficulté de prendre cette décision que le geste en lui-même.
Ce qui occupe alors le groupe n'est plus alors la pratique de sa survie, mais son idée, sa théorie. Le renversement opéré par Juan Antonio Bayona est brillant et souligne son respect et sa compassion pour le sujet : à la bestialité qui rode et qui consisterait à prendre, il oppose la spiritualité du don, et donc l'humanité persistante de ces survivants malgré l'horreur qui les accable.
Un contrepied magistral
Jamais la montagne et sa neige n'ont paru à la fois si belles et majestueuses, et si hostiles et épouvantables. La photographie est sublime et, accordée à la partition aux intonations mélancoliques de Michael Giacchino, elle enveloppe le spectateur dans un cauchemar immaculé.
Là se trouve la différence de Juan Antonio Bayona, qui esquive systématiquement le piège de la narration par l'action au profit d'un drame pénétrant par son évolution psychologique. Si bien que les fantastiques plans larges sur l'immensité glacée et désertique fonctionnent comme des plans serrés sur le corps d'un monstre.
Parce qu'il s'agit d'une des plus terribles histoires vraies, une distance était nécessaire, un respect s'imposait. Ainsi, pour raconter cependant cette histoire au plus près, Le Cercle des neiges est interprété par un casting d'acteurs sud-américains anonymes. Et à l'inverse de The Impossible, où le charisme et la célébrité d'Ewan McGregor et Naomi Watts nourrissaient la sensation de fiction de cette autre histoire vraie, ce choix de casting et de langue parfait l'immersion du spectateur et l'empêche d'être distrait par la recherche d'une performance de jeu.
Le Cercle des neiges réussit ainsi, à rebours des codes basiques du thriller, son grand spectacle. En posant sa caméra au plus près des corps et des visages blessés par le froid, en se glissant dans la carcasse et en s'extirpant d'une avalanche, Juan Antonio Bayona se met à hauteur et aux côtés des victimes et des survivants. Et, paradoxalement, plus il en est proche, plus il apparaît alors respectueux et à la juste distance du sujet. Le tour de force est ainsi exceptionnel, avec une production technique remarquable, et un point de vue aussi humaniste qu'unique dans ce genre de cinéma.
Le Cercle des neiges de Juan Antonio Bayona, disponible sur Netflix le 4 janvier 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.