Le Dernier des Juifs : une ode burlesque à l'humanité commune

Le Dernier des Juifs : une ode burlesque à l'humanité commune

CRITIQUE/AVIS FILM - Avec "Le Dernier des Juifs", Noé Debré signe un premier long-métrage réussi, drôle, émouvant et sensible. Une très jolie fiction qui résonne contre la terrible actualité qui entoure sa sortie, et brille par son humanité.

Le Dernier des Juifs, un premier film réussi

Le premier long-métrage réalisé par Noé Debré, jeune cinéaste mais scénariste déjà très expérimenté avec notamment plusieurs collaborations avec Thomas Bidegain (Les Cowboys, Dheepan, Stillwater), les co-écritures de Problemos et Le monde est à toi, ne laisse pas planer le doute très longtemps. Dès les premières images et les premiers mots de Le Dernier des Juifs, on comprend la proposition et sa qualité.

Celle d'une comédie dramatique maîtrisée et centrée sur Bellisha, un un jeune homme immature et à peu près comme tout le monde, qui vit dans une cité de banlieue parisienne, et qui dans une forme de récit d'initiation va passer - un peu à reculons - à l'âge adulte.

Bellisha (Michael Zindel) - Le Dernier des Juifs
Bellisha (Michael Zindel) - Le Dernier des Juifs ©Ad Vitam Distribution

Un jeune à peu près comme tout le monde, et aussi à peu près juif ? En effet, Bellisha est juif, mais il l'est avec la même distance que d'autres ont quant à leur religion chrétienne ou musulmane. Juif séfarade d'origine algérienne, il ne va quasiment jamais à la synagogue et ne respecte que très vaguement les préceptes et interdits de sa religion. Il est juif et ça ne devrait être rien. Mais voilà, l'identité juive historique et contemporaine n'est pas aussi simple dans le conscient et inconscient collectif que la manière dont Bellisha la vit. Et peut-on vraiment être, en tout cas aux yeux des autres, "à peu près" juif ?

Détaché de tout, gracieusement indifférent au cours du monde et acceptant entièrement son absence de destin, Bellisha est ainsi confronté à son identité juive, surtout celle qu'on lui renvoie. Sur les murs de la cité où il vit, il y a des tags antisémites, et dans l'air une agressivité persistante. Les autres juifs du quartier sont ainsi partis pour s'installer ailleurs. Seul Bellisha et sa mère sont restés.

Fiction joyeuse contre terrible réalité

Il est sans doute compliqué, pour Noé Debré, que Le Dernier des Juifs sorte au cinéma après les terribles événements du 7 octobre 2023, manifestation monstrueuse dans le monde réel de l'antisémitisme qu'il indique mais ne montre jamais en action dans son film. Parce que celui-ci, qui dit quelque chose de la société française, s'inscrit dans un cadre parfaitement réaliste et porte un discours humaniste, est néanmoins une pure comédie, une fiction, un exercice de cinéma.

Le primo-réalisateur en témoigne par son écriture et ses images : il y a du Charlie Chaplin dans Bellisha, du "Dude" des frères Coen aussi, dans sa nonchalance et son désir aimable qu'on lui foute la paix. Il y a un cousinage avec L'Arabe du futur, un peu du personnage qu'incarnait Vincent Lacoste dans Les Beaux gosses de Riad Sattouf, et du Gaston Lagaffe aussi.

Il y a ainsi de la poésie et de l'art dans Le Dernier des Juifs, tout le temps, dans l'humour comme dans le drame - celui de la disparition d'une mère -, avec notamment cette image finale aussi tangible et dure que brumeuse et fantaisiste du juif sur les routes, valise à la main.

L'éloge de la fuite en avant

C'est ainsi dans cette double vue que se découvre Le Derniers des juifs. Que les mots d'un racisme ordinaire de Giselle (parfaite Agnès Jaoui), la mère de Bellisha qui ne sort plus de chez elle, font donc autant sourire que lever les yeux au ciel. Celle-ci veut partir, elle veut aller ailleurs, et cette volonté est touchante parce que, gravement malade, c'est le voeu le plus pieux qu'elle puisse faire. Bellisha, lui, s'accommode de tout et ment comme il respire pour que tout le monde soit content.

Le Dernier des Juifs
Le Dernier des Juifs ©Ad Vitam Distribution

Il faut trouver un travail ? Il travaille un seul jour pour son cousin (excellent Solal Bouloudnine) puis ensuite fera semblant. Sa mère veut qu'il se sache se défendre et l'a inscrit à des cours de krav-maga ? Pas de problème, il n'y est jamais allé mais raconte qu'il est un élève assidu et que c'est même devenu trop facile. Sa mère veut partir ? Il va lui faire croire qu'il organise leur départ. Mais en réalité, Bellisha veut surtout coucher avec sa voisine de confession musulmane, faire du rap débile avec une app qui transforme sa voix, traîner dans son quartier et vivre au jour le jour.

Rire contre les caricatures

On rit beaucoup devant Le Dernier des Juifs, grâce à l'écriture de Noé Debré et aussi à la performance géniale de Michael Zindel, sa voix et son phrasé si comiques et son allure, tellement gracieuse par sa maladresse inoffensive. L'acteur, dont c'est le premier long-métrage, brille ainsi à être partout à l'aise et libre, alors que tout chez lui devrait a priori le contraindre à être coincé.

Avec ce personnage, l'auteur comme le comédien évitent toutes les caricatures. Celle du juif hâbleur façon La Vérité si je mens, comme celle du juif victimaire. Le Dernier des Juifs échappe ainsi aux idées et images qui sont faites et répandues de manière à mettre les gens dans des cases. Et c'est là que le film de Noé Debré se révèle brillant : par l'intimité de son récit et par la spécificité de ce personnage burlesque et attachant, il traduit l'universalité d'une existence aussi banale que légitime.

Le Dernier des Juifs
Le Dernier des Juifs ©Ad Vitam Distribution

Grâce à ce personnage, tout est possible. Les vannes violentes avec les copains, la dureté et la drôlerie avec lesquelles les membres de la communauté juive parlent des autres et se décrivent eux-mêmes - Giselle déclare à un moment ne plus vouloir partir en Israël, parce que "les juifs sont des escrocs" - : tout glisse sur Bellisha, et rien ne vient perturber cette formidable nonchalance avec laquelle il aborde chaque sujet.

Le premier des hommes

Peut-on reprocher à un film d'être trop intelligent ? Probablement pas. Mais Le Dernier des juifs, sensible et subtil, est aussi élégant que suffisamment complexe - et parfois inégal - pour ne pas s'éviter une confusion. Que raconte-t-il vraiment ? Que dit-il sur ce qu'est être un juif de banlieue en France dans les années 2020 ? Le Dernier des juifs est une comédie, drôle et émouvante, et utilise à cette fin l'identité juive. Mais il dit aussi quelque chose de cette identité juive.

Il dit peut-être que l'identité juive est aussi pleine ou vide que toutes les autres identités. Qu'elle est on ne peut plus normale, commune, universelle, banale, et que l'indifférence de Bellisha est la célébration de cette normalité. Partir en Israël ou à Saint-Mandé, rester où il est ? Ça lui est égal. Avoir une carrière ou pas ? Ça lui est égal. Coucher avec une juive, une goye ou une musulmane ? Ça lui est égal.

Ce qui en revanche lui est moins égal, c'est de perdre sa mère. Une séquence dont la sincérité et la pudeur tirent droit vers le mélodrame sans céder cependant à la sortie de violons. Et suite à laquelle Bellisha reste longtemps silencieux, la tête aussi droite dans sa tristesse qu'elle est renversée dans la joie. Il fallait que sa mère - par qui la judaïté s'hérite - parte pour qu'enfin lui aussi puisse partir. Où ? Il ne sait pas. Mais ce n'est pas grave parce que le monde lui appartient. C'est ce qu'on se dit quand le film se clôt sur l'image de Bellisha, valise à la main et sans projet, lui le juif parfait et imparfait, lui le jeune homme le plus universel qui soit.

Le Dernier des Juifs de Noé Debré, en salles le 24 janvier 2024. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Avec une écriture aussi fine qu'ambitieuse, Noé Debré développe le portrait d'un jeune homme juif dans une société où l'antisémitisme explose. Drôle et émouvant, le nouveau venu Michael Zindel et l'expérimentée Agnès Jaoui y rayonnent, pour une comédie douce-amère de très haut niveau. À voir

Note spectateur : Sois le premier