CRITIQUE/AVIS FILM : On dit parfois qu'on est adulte quand on fait son premier discours. Du discours d'un jeune "vieux con" dans "Le Sens de la fête", Benjamin Lavernhe passe dans "Le Discours" à celui d'un jeune homme amoureux mais désespérant de lâcheté, aussi charmant qu'agaçant. Un portrait génial, drôle et touchant, tiré par un Laurent Tirard très inspiré.
Le Discours, petit sommet de la comédie française
Le Discours est un de ces films au calibre a priori moyen, de pur cinéma français dans son intention, et où l'écriture prend le dessus sur le reste. Ce postulat se vérifie rapidement : Laurent Tirard est un scénariste reconnu (notamment le grand succès Prête-moi ta main), et un très efficace réalisateur d'adaptations, avec entre autres Le Petit Nicolas en 2009 (plus de 5 millions et demi d'entrées) et Astérix et Obélix : Au service de sa Majesté en 2012. Pour Le Discours, il adapte le roman de Fabcaro, célèbre auteur de bandes dessinées et romancier habile pour croiser satire sociale, exploration intime de caractères, inspiration autobiographique sincère sans être exhibitionniste.
Fabcaro et Laurent Tirard alignés, il ne manque plus que l'acteur qui réussira à incarner le rôle du film : un jeune homme qui a perdu tous ses repères et doit cependant faire un discours au mariage de sa soeur. Une montagne à gravir, qu'Adrien n'a d'ailleurs pas envie de gravir, et qu'il va surtout dévaler vers ses échecs, ses regrets, ses angoisses existentielles. Et pour incarner Adrien, ce n'est personne d'autre que le futur très grand acteur de sa génération, Benjamin Lavernhe. Grâce à sa performance de très haut niveau, mise en scène avec brio par Laurent Tirard et soutenu par un casting secondaire tout en justesse, Le Discours explose son calibre et sublime son intention.
Un texto pour changer sa vie
Adrien attend un texto. Il est à un dîner de famille, mais il attend un texto de son ex, qu'il aime toujours et de laquelle il souffre profondément la séparation. À ce dîner, son futur beau-frère (Kyan Khojandi) lui demande - mais comment refuser ? - de faire un discours à leur mariage. Impossible de penser à autre chose qu'au texto qu'il attend, il faut cependant qu'il s'enthousiasme et réfléchisse à ce discours. Bien au contraire, cela va le plonger au plus profond de ses angoisses, au plus profond de ce qu'il est et de ce qu'il n'est pas. Dans une mise en scène et une narration originales, qui prennent le parti de la voix off, des regards caméras et des flashbacks, Adrien nous entraîne dans l'histoire de sa relation avec Sonia (Sara Giraudeau), sa maladresse permanente, son amour de lycée et sa détestation de lui-même. Il se plaint, il gémit, se complaît dans sa plainte, mais il est diablement attachant.
Adrien est drôle, agaçant, charmant, intelligent et lâche - deux caractéristiques qui vont souvent ensemble -, il est en plein dans l'air du temps, le mal du siècle qui est l'état d'esprit propre à ceux qui s'arrachent douloureusement du monde de l'adolescence pour accepter de devenir adulte, en faisant un grand saut angoissant. L'enfance, l'adolescence, l'âge adulte, c'est une véritable plongée dans les souvenirs et les désirs d'un individu auquel on s'identifie forcément.
Un film pour un grand rôle
On pourra s'étonner de la théâtralité parfois exacerbée du Discours, mais c'est pourtant là où Benjamin Lavernhe excelle, en digne sociétaire de la Comédie-Française, et comme ça qu'il atteint une supériorité de jeu rare. La performance est réelle : dialogues, monologues, des rires et des pleurs, de la colère, des cris, Benjamin Lavernhe est en permanence dans le cadre, en son centre, puisqu'il est à la fois le sujet et l'objet de sa propre angoisse, et logiquement le sujet et l'objet du film. Les comédiens autour de lui sont autant de sparring partners expérimentés qui lui permettent de développer sa verve et son personnage. Sara Giraudeau dans la peau de l'ex fatiguée de ses plaintes, François Morel et Guilaine Londez pour jouer ses parents, Julia Piaton en soeur qu'il doit aussi re-conquérir... Sans rien dévoiler, on peut assurer que les passages avec Sara Giraudeau sont particulièrement brillants et couvrent toute la palette des émotions.
Même si ce ne serait qu'un hasard, difficile de croire aux pures coïncidences. Rôle secondaire mémorable du Sens de la fête, où il joue un marié détestable au discours à rallonge et pour lequel il est nommé au César du meilleur espoir masculin en 2018, ce rôle dans Le Discours lui revient comme une évidence. Mais à la différence de sa participation au film presque choral de Toledano et Nakache, ici Benjamin Lavernhe assume son premier premier rôle pour peindre un portrait réaliste et parfois délicieusement absurde d'un trentenaire. À la manière de Laure Calamy dans Antoinette dans les Cévennes, dont il fait d'ailleurs partie du casting, Benjamin Lavernhe réussit le tour de force de captiver sans lasser, de porter avec brio sur ses épaules une adaptation a priori compliquée, avec un rôle omniprésent et tous les risques que cela implique. Encore à la manière de l'actrice, récemment césarisée, il montre toute l'étendue de son talent, et celle-ci semble infinie.
Le Discours, de Laurent Tirard. Le 9 juin au cinéma. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.