CRITIQUE / AVIS FILM - "Le jeune Ahmed" est une puissante démonstration des dérives d'une interprétation fallacieuse du Coran par un jeune homme en devenir. Le dernier film des frères Dardenne, en compétition au Festival de Cannes.
Tout est dans l’adjectif « jeune » du titre Le Jeune Ahmed, le dernier long métrage des frères Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne. Car jeune, Ahmed (Idir Ben Addi, fulgurant de justesse et de sobriété dans son premier rôle au cinéma) ne veut plus l’être. Il ne veut plus être considéré comme un enfant protégé par sa mère (Claire Bodson) qui élève ses quatre enfants en l’absence de leur père. Il ne veut plus être un élève à qui Madame Inès (Myriem Akheddiou), son professeur de l’École des devoirs, explique comment se comporter. Il veut être un homme, un vrai musulman, comme le lui enseigne l’Imam controversé de sa communauté (Othmane Moumen). Mais ce dont il n'a pas conscience, car il est trop jeune, c’est l’importance des mots, des pensées intolérantes et la quasi-emprise que l’Imam Youssouf a précisément sur Ahmed.
L’influence qu’ont pu avoir dans sa vie ces deux femmes décrites comme courageuses est peu à peu remplacée, à leur grand dam, par une autre influence proche de l’obscurantisme et du lavage de cerveau, qui juge durement les femmes qui ne respectent pas les versets du Coran, interprétés par l’Imam. Ce dernier inculque à Ahmed, sous prétexte qu’elles ne portent pas le voile ou boivent du vin, que ces femmes sont des mécréantes, des impies, des apostats, et pire, des chiennes.
Ahmed, pourtant à un âge de pleine croissance hormonale, juge impur tout contact avec une femme, même sa mère et se refuse désormais à leur toucher la main ou à les embrasser. Mais Ahmed, dont l’un des cousins est mort en djihadiste et devenu un héros à ses yeux, est évidemment bien trop jeune pour comprendre les enjeux et la portée des arguments pour confronter l’Imam. Persuadé de devenir par son geste un bon musulman et en allégeance à sa foi, il se alors met en tête de poignarder Inès pour l’empêcher d’apprendre aux enfants l’arabe du quotidien, outre l’arabe du Coran.
Les dérives d'une interprétation orientée du Coran
Les réalisateurs offrent, comme souvent dans leurs œuvres, une mise en scène minimaliste. Malgré une caméra à l’épaule dont les soubresauts fatiguent parfois l’œil du spectateur, ils ne lâchent pas Ahmed d’une semelle. Ils parviennent à ne porter aucun jugement sur leur jeune héros, dont le visage d’ange inspiré par sa foi n’exprime aucune haine, mais une sacrée détermination, voire une aveuglante obstination. Car Ahmed, qui n’accomplira pas la mission qu’il s’était fixée, va être jugé et placé dans un centre. Les frères Dardenne n’ont pas jugé utile de montrer l’arrestation ou le procès, seulement l’Imam expliquant à Ahmed qu’il a dû mal interpréter ses propos et que l’important est de protéger la mosquée.
Dès lors, Le jeune Ahmed dépeint le chemin cahoteux vers la rédemption du jeune garçon. Car les frères Dardenne relatent une histoire simple, somme toute assez banale, de l’apprentissage de la tolérance. Le film interroge brillamment sur la capacité d’un jeune garçon à prendre conscience progressivement de la portée et de la gravité de son acte et à vouloir se transformer. Les réalisateurs donnent à voir des adultes bienveillants, peut-être un peu trop, mais le film se situe en Belgique, dont le système judiciaire est différent de celui de la France. Les éducateurs, la psychologue, le juge ou les fermiers qui l’accueillent une fois par semaine sont ainsi tous respectueux de sa foi et de l’horaire de ses prières.
Ils ne donnent pas de leçons de morale, ni ne le confrontent à un guide spirituel neutre à propos des textes du Coran, et continuent bizarrement à laisser Ahmed s’abrutir dans ses propres interprétations. Car leurs démarches sont avant tout basées sur le volontariat des jeunes et tous savent que cela ne sert à rien de les forcer s’ils ne sont pas prêts à entendre un autre discours. Mais tous savent aussi que c’est le raccrochage à la vie et à un quotidien proche de la nature, qui diminue l’emprise et peut être salvateur. Le Jeune Ahmed se révèle un film puissant qui se situe toujours à la lisière du drame, provoquant l'empathie et démontre avec force que ce n’est pas la croyance qui permet de devenir un homme, mais bien la mise en lumière de sa part d’humanité.
Le Jeune Ahmed de Luc et Jean-Pierre Dardenne, en salle le 22 mai 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.