CRITIQUE / AVIS FILM - Christophe Honoré livre avec "Le Lycéen" un récit intime et autobiographique où se mêlent la mort et l'amour dans un chaotique passage à l'âge adulte. Avec ses comédiens formidables, le cinéaste raconte une belle errance, aussi gracieuse que brutale, dans un film bouleversant.
Un premier récit ouvertement autobiographique
On pourrait paresseusement croire que Christophe Honoré tourne en rond. Que ses histoires explorent des mêmes thèmes, avec des motifs récurrents et une radicalité constante. Mais à s'y pencher de plus près, il serait plutôt question de multiples lignes qu'il parcourt, sans regarder en arrière, et s'il revient à un passé c'est sans doute pour le sceller là où il est. L'amour, la mort, l'homosexualité, le suicide, les pensées mystérieuses - ou mensongères - de l'âge adulte, voici les thèmes principaux qu'il explore depuis ses premiers films et écrits, en proposant à chaque fois un traitement nouveau et donc une lumière différente.
Que ses films soient des adaptations de Georges Bataille (Ma Mère), de la comtesse de Ségur (Les Malheurs de Sophie), ou alors des oeuvres originales, Christophe Honoré raconte à sa manière unique des vies, qui sont autant des inspirations extérieures que des versions réelles ou fantasmées de la sienne. Son nouveau film, Le Lycéen, se distingue par son approche frontale : il s'agit là d'un récit essentiellement autobiographique, il s'agit même du récit de sa naissance en tant qu'adulte et artiste, depuis la mort accidentelle de son père alors qu'il n'avait que 15 ans.
La mort et l'amour
Le jeune et formidable acteur Paul Kircher, qui interprète Lucas, 17 ans, est l'alter ego de Christophe Honoré. Un jeune garçon normal, un peu rêveur, qui a un petit copain pour lequel il a de l'attachement mais n'est pas transi d'amour. Une des premières séquences de Le Lycéen le présente avec son père (interprété par Christophe Honoré) lors d'un trajet en voiture. Il y a de la tendresse dans les gestes, une douce chaleur dans l'habitacle du véhicule contraint à une embardée et qui finit dans le fossé.
Plus de peur que de mal, pour cette fois. Comme le raconte Lucas, face caméra sur fond noir, ce moment était peut-être prémonitoire. Peu de temps après, on vient le sortir de son lit d'internat en pleine nuit. Son père a eu un accident de voiture.
La perte est terrible, et c'est cette douleur qui fait battre le coeur du film pendant sa première partie. Ce moment, la mort du père, n'est pas à l'image. Et le frère de Lucas (toujours génial Vincent Lacoste), qui est venu chercher Lucas à son internat, attend même le tout dernier moment pour lui annoncer que leur père n'a pas survécu à l'accident annoncé plus tôt. Dans cette distance formelle à la mort se lit le fait qu'un tel drame est extrêmement dur à formuler, en images comme en mots. À appréhender aussi. Face à la mort, quelle peut être l'issue sinon l'amour familial et, plus largement, l'amour, tout court ?
La sombre et lumineuse magie des premières fois
Comme il le raconte lui-même, Lucas est sous le choc, un bête sourire aux lèvres quand il demande à chacun des proches et membres de la famille réunis si "ça va". Puis viennent les pleurs, les cris, qu'il ne retient pas. Sa mère, Isabelle (Juliette Binoche) retient mieux les siens, et l'actrice brille dans cet exercice tout en retenue et pudeur, en douleur rentrée. Le Lycéen est un récit de premières fois, un récit d'initiation et de passage à l'âge adulte.
Un premier deuil, une première expérience amoureuse, une première fois à Paris. Il l'annonçait avec les premiers mots de son récit, "ma vie est devenue une bête sauvage". La sauvagerie est là celle des premiers contacts, des premières errances et des premières vérités de l'âge adulte. Et Christophe Honoré met cette sauvagerie en scène dans Le Lycéen avec brio, bien aidé par un acteur d'une intensité et d'une précocité fascinantes.
Égaré, Lucas déprime. Plutôt que de rester dans sa froide montagne de Savoie, il part passer une semaine à Paris, là où vit son frère Quentin et duquel la carrière d'artiste est en train de décoller. Au plus proche du corps et du visage de son personnage principal, la caméra suit alors Lucas dans une errance parisienne à la saveur douce-amère, où il aura un premier coup de foudre et une première déception amoureuse avec Lilio, superbement incarné par Erwan Kepoa Falé. Une première discussion avec un prêtre aussi, une première fois dans des musées parisiens. Avec des teintes essentiellement froides, Christophe Honoré illumine ainsi un passage très rapide, peut-être trop, à l'âge adulte.
Un grand cinéma de l'intime
Un passage chaotique où l'âpreté troublante et néanmoins charmante de cet âge succède à la plus confortable insouciance de l'adolescence. Le Lycéen raconte à merveille cette parenthèse autant enchantée que chaotique en suivant l'arythmie de son trouble. Le montage est fragmenté, bourré d'ellipses, la semaine paraît durer un seul jour autant qu'un long mois, avant un retour dramatique en Savoie. Ce retour, qui constitue le troisième acte, pèche en conséquence peut-être par le rythme plus normal qu'il retrouve, comme s'il sonnait maintenant "faux".
Le désenchantement qui succède en effet à l'ivresse du séjour parisien s'éloigne de l'exposé intime et frontal, jusqu'à la brutalité, de l'expérience de Lucas qui était montrée jusque-là. Comme si, devenu adulte, il se refermait, perdant trop vite le contact si pur et authentique des premières fois, revenu dans la monotone linéarité du quotidien. Une conclusion logique pour ce très beau récit, d'une grande dureté comme d'une vraie grâce.
Parce qu'il a le talent pour le faire et le bon goût de se moquer de la pudeur, la pudibonderie et la morale, pour préférer raconter la beauté complexe d'une vie à fleur de peau, Christophe Honoré livre ainsi avec Le Lycéen un très beau film à la matière autobiographique, intelligent, exigeant, et profondément touchant.
Le Lycéen de Christophe Honoré, en salles le 30 novembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.