CRITIQUE / AVIS FILM - Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Steve Achiepo dépeint l’univers sombre des marchands de sommeil. “Le Marchand de sable” expose la face cachée de Paris, tout en narrant le récit d’un père de famille prêt à tout pour sa fille et ses proches.
La vaste complexité des marchands de sommeil
Pour son premier long-métrage, Steve Achiepo a choisi de réaliser un film social sur l’univers méconnu de la nuit. Le Marchand de sable dépeint les péripéties de Djo (Moussa Mansaly), un père célibataire récemment séparé d’Aurore (Ophélie Bau), qui se démène pour vivre modestement avec sa fille.
Dans sa quête, il se rapproche mêlé à une sale affaire : l’entassement de réfugiés dans des logements illégaux. C’est sur fond d’histoire familiale que se dressent les problèmes sociétaux sous fond d'immigration auxquels les protagonistes sont confrontés.
La force du film réside dans sa capacité à aborder le sujet de manière globale. En effet, Le Marchand de sable n’est pas uniquement porté sur l’immigration ou la lutte contre l’habitat indigne. À travers différents personnages, il explore tous les aspects liés à ces problématiques, mettant l’affect humain au cœur du récit. On rencontre ainsi une mère de famille (Aïssa Maïga), réfugiée de guerre avec ses trois enfants, ou encore un escroc (Benoît Magimel) à la tête d’un réseau criminel discret.
Guerre, droit au logement, racisme, proxénétisme, illégalité et corruption se mêlent à des thématiques plus intimes. La dure réalité remet en question les notions d'identité, de famille, d’abandon et interroge les limites de la fraternité.
Un film qui pose des questions sans donner de réponses
C’est toute cette diversité qui nous est montrée et violemment jeté au visage. Car le film est brutal de par sa cruauté. Difficile durant le visionnage de ne pas être touché par cette misère, d’autant plus que Le Marchand de sable fait bien comprendre qu’il n’y a pas de solutions. L’évolution de l’histoire offre des palpitations, jusqu’à l'apogée tragique. La quête de logement se voit entravée à plusieurs reprises, tandis que des miracles semblent se produire.
Là où le mal se trouve, nous croyons voir de l’espoir. Tandis que là où est l’espoir, nous trouvons des désillusions. Les rôles entre méchants et gentils s’inversent, jusqu’à ce que tout se mélange en un désespoir globalisé… Seule la finalité du film dévie de cette réalité crue, pour atteindre un climax émotionnel.
Des événements dignes d’une tragédie s'enchaînent, comme pour imprimer dans les mémoires l’horreur des situations dépeintes précédemment. Il y a bien une exagération qui ne semblait pas essentielle, mais celle-ci montre la volonté de marquer les esprits, dans le but d’éveiller les consciences et de faire ouvrir les yeux.
Le Marchand de sable : lorsque l’histoire familiale sauve le récit social
Tout ce noir broyé est cependant sauvé par le récit simple et touchant d’un père et de sa fille. À l’inverse d’un pur film social comme ceux de Jean-Pierre et Luc Dardenne, Le Marchand de sable offre une narration comme support au politique. Les liens familiaux du protagoniste permettent une identification aux situations ordinaires, avant de nous emmener vers des thématiques plus éloignées. L’histoire peut ainsi toucher le plus grand nombre et sensibiliser chacun sur la détresse représentée, sans sentiment de distanciation.
Cet aspect intime offre également une diversité de genres. Le film revêt sous certains angles les codes du thriller, où la vie d’autrui dépend d’enjeux à suspense. Sous un autre angle, il y a du drame familial plus intime, où un couple séparé doit continuer à avancer. On échappe donc au film social qui en effraie plus d’un, en se rapprochant du film de genre ancrée dans une réalité politisée.
Le Marchand de sable est en cela une réussite. Sans s’enfermer dans un genre et dans des propos déjà établis, il pousse à la réflexion tout en émouvant. Pour son premier long-métrage, Steve Achiepo a su mettre en scène une proposition forte, qui provoque des réactions fortes.
Le Marchand de sable de Steve Achiepo, en salles le 8 février 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.