CRITIQUE FILM - Romain Gavras a débarqué sur la croisette avec toute la clique Kourtrajmé pour présenter « Le Monde est à toi » à la Quinzaine de réalisateurs. Dans cette comédie bouffone, un ex-dealer veut se lancer dans la vente de Mister Freeze au Maghreb et va devoir, pour mener à bien son projet, se lancer dans un dernier gros coup en Espagne.
Trailer sur fond de PNL, casting branchouille où Karim Leklou, Vincent Cassel, Oulaya Amamra, Isabelle Adjani, François Damiens et Philippe Katerine se donnent la réplique, avec, entre autres, Noé Debrée au scénario et Jamie XX à la bande-son : oui, Le Monde est à toi de Romain Gavras était l’un des films les plus attendus de la Quinzaine des réalisateurs cette année. Au-delà de son pitch aussi gogol que curieux, des références rap et de la culture chico-mafioso-banlieusarde qui l'habite, Romain Gavras met en place une comédie bien française compilant Booba et variété française, distillant vannes et autres absurdités entre les moments de doute qui assaillent François (Karim Leklou), un petit caïd reconverti en agent commercial.
Lorsque ce dernier apprend que sa fantasque de mère, Dany (Isabelle Adjani) a claqué toutes ses économies dans des jeux d’argent, il se rend à l’évidence : pour mener à bien ses aspirations de vendeur de Mister Freeze au Maghreb, il va devoir accepter la mission que lui a proposé Poutine, le baron demeuré du coin. Le plan est, à priori, très simple. Il faudra aller chercher de la came en Espagne, celle que vend l’Ecossais, et revenir à la cité avec le tosma. François connaît ça. Mais arrivé en Espagne, accompagné de Lamya (Oulaya Amamra), la jeune fille qu’il aime en secret, de son meilleur ami Henri (Vincent Cassel), et de deux petites frappes en survêts moulants et maillots de foot, l’Ecossais embarque l’argent sans fournir la drogue. La mission prend désormais une autre tournure. Dans la ville balnéaire, il va falloir retrouver l'Ecossais et récupérer l'argent du deal sans quoi Poutine, sanguin et impulsif, viendra tôt ou tard les rejoindre pour réclamer son dû.
Caïds assagis et cinéma docile
Dire que Romain Gavras, avec Le Monde est à toi, déçoit est un euphémisme. On se souvient de ses clips ahurissants qu’il avait réalisé pour Justice (Stress), M.I.A (Born Free, Bad Girls) ou pour le duo ultime Jay-Z/Kanye West (No Church in the Wild). Tout ça partait direct sur MTV et faisait le tour du monde, générant des millions de vues. Oui, Romain Gavras sait réaliser des clips. Pour ce qui est des films, c’est une autre histoire. Si son premier long-métrage, Notre jour viendra, n’avait rencontré, à juste titre, que peu de succès à sa sortie en 2010, il avait au moins le mérite de tenter quelque chose. Le Monde est à toi en est l’exact opposé : il finira, un de ces quatre, dans la case de 21h du petit écran, où il aurait eu bien plus sa place qu'à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
En n’essayant rien plastiquement là où, justement, ses clips brillaient (il n’y a ici que quelques plans au drone entre des dizaines de champ-contrechamps à la longue focale ultra pauvre), et en se reposant beaucoup trop sur son intrigue comique bas du front (en mode « trop des barres Mister Freeze »), Gavras livre un film mou du genou, confortable et un peu rincé de la culture street qu’il évoque. L’intrigue est attendue. Les ruptures comiques le sont tout autant. Et les trajectoires intimes de François et Lamya, les deux personnages « sérieux » du film, sont prévisibles du début à la fin. Pour un film qui se veut détonnant, on a vu mieux. Et ce n’est pas les allusions au rap-jeu, éclipsées en quelques secondes au sein d’un scénario très gentil, qui sauveront le tout. Celles-ci sont reléguées en arrière-plan, à l’image des deux petites frappes hilarantes qui auraient peut être dû occuper la place centrale de ce Monde est à toi.
Et maintenant ?
Au lieu de cela, on suit l'affirmation progressive de François face à son entourage, qui, contrairement à lui, ne se laisse jamais faire. Cette sur-caractérisation face à tous les individus ultra chauds (son pote Henri, les deux zonards mais aussi sa mère et Lamya), qui gravitent autour de sa figure apathique et passive, tendra à rendre plus probante sa prise d'assurance, de pouvoir et d'argent. Que dit le film de tout ça ? En vérité pas grand chose. Les problématiques inhérentes à l'intrigue classique d'empowerment mafieux que compose Gavras (« que faire de tout cet oseille ? » comme le dirait Booba), restent en suspens à la fin du film. Lorsque François est in fine parvenu à lancer son business, a eu la possibilité de s'acheter la maison qu'il fantasmait en maquette et a enfin réussi à serrer la fille de la bande, la vacuité du film flotte à la surface et paraît limpide. Il ne s'agira ici que de ne livrer une comédie vaguement street, sans aucun discours. Gavras l'assumera peut être, mais son film restera, quoiqu'il arrive, en carton.
Le Monde est à toi de Romain Gavras, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en salle le 22 août 2018. Ci-dessus la bande-annonce.