CRITIQUE / AVIS FILM - Pour son grand retour au long-métrage, 12 ans après "Bright Star", la réalisatrice néo-zélandaise présente à la 78e Mostra de Venise "The Power of the Dog", drame familial inscrit dans un cadre de western, avec notamment Benedict Cumberbatch et Jesse Plemons au casting. Un beau film qui ne tient pas entièrement sa grande ambition.
Montana, années 1920. Phil (Benedict Cumberbatch) et George (Jesse Plemons) Burbank sont deux frères, riches éleveurs de bétail et propriétaires du plus grand ranch de la région. Phil est un homme intelligent et éduqué mais qui a fait le choix de la vie rustre des cowboys. Son frère Georges, à la sensibilité plus développée et est en retrait par rapport à son frère. On découvre cette relation en introduction du film, un film immédiatement très beau plastiquement et admirablement réalisé. De la photographie d'Ari Wegner à la musique de Jonny Greenwood, en passant par une reconstitution historique sans faute et des paysages éblouissants, Jane Campion rappelle - au cas où certains l'auraient oublié - que son savoir-faire cinématographique est de très haute gamme.
Mais grande faiseuse d'images, Jane Campion est aussi, et sans doute avant tout, une conteuse exceptionnelle de drame humain. Adapté du roman de Thomas Savage, The Power of the Dog n'est en effet pas qu'une démonstration experte de style, mais un drame moderne puissant sur la filiation et l'amour, la masculinité, les mondes de l'enfance et de l'âge adulte.
Une fraternité cruelle et émouvante
Phil mène son business d'une main de maître, admiré pas ses hommes et heureux dans sa vie de mâle alpha. Chef de meute, il rejette toute expression de tendresse et d'empathie, sans même parler du concept d'amour qui lui semble parfaitement étranger. Ce n'est pas le cas de George, qui se marie rapidement avec Rose (Kirsten Dunst), tenancière d'un restaurant-relais du coin et jeune veuve. Plus qu'une romance passionnée, George admettra vite et dans une très belle scène que sa profonde émotion résulte du fait de ne plus se sentir écrasé de solitude. Cette séquence est instructive à double titre : il existe une résignation dans les relations de ces personnages, et malgré le lien fraternel que revendique souvent Phil, George se sent désespérément seul.
The Power of the Dog est divisé en cinq chapitres, les deux premiers montrent comment Phil ne supporte pas cet union, n'y voit aucun avenir et surtout craint que Rose ne soit qu'intéressée par leur fortune. Entre les trois personnage s'établissent alors les conditions d'un drame fascinant. Phil est-il jaloux, et de quoi l'est-il ? George va-t-il supporter longtemps le ton humiliant de son frère ? Les deux acteurs sont absolument fascinants dans leur jeu - Benedict Cumberbatch signe ici sa plus grande performance à ce jour -, entièrement différents alors qu'ils sont tous les deux sur le registre de la retenue et de l'intériorité. George souffre et Phil bouillonne, et cette histoire suffit déjà pour raconter beaucoup de choses. Phil monte à cheval et porte le Stetson quand George préfère la voiture et le costume de ville, Phil occupe un lit simple dans une chambre d'enfant quand George tente de construire un foyer fragile avec Rose.
Rose a un enfant, Peter, un adolescent chétif, intelligent et très sensible, entièrement en butte aux usages de la vie "western" et qui souhaite devenir chirurgien. C'est ce personnage, interprété par Kodi Smit-McPhee, qui va déplacer l'intrigue du film, alors qu'il arrive pour les vacances d'été au ranch des frères Burbank.
The Power of the Dog : pour l'amour d'une mère
Moqué par Phil et ses hommes pour son apparence peu masculine et ses "manières", Peter semble être tout ce que Phil déteste. Mais Phil est un homme éduqué, il connaît la "ville", a été étudiant à Yale. Il comprend donc Peter, mais oppose d'abord à son attitude une fin de non-recevoir. Alors que George est en ville pour s'occuper des affaires, Rose va vivre de plus en plus mal la supériorité affichée de Phil, sa cruauté et son charisme qui confinent à l'effroi, et se réfugier dans l'alcool. The Power of the Dog bascule à ce moment, et l'antagonisme existant entre Phil et George, jusque-là moteur du récit, va s'évanouir au profit d'un autre.
Sans vraiment expliciter sa démarche, Phil va s'opposer de toutes les manières possibles à Rose, parce qu'elle lui "vole" son frère et selon lui élève mal son fils Peter. Ultime violence qu'il veut imposer à Rose, Phil va ainsi prendre Peter sous son aile, en lui apprenant à monter à cheval, à fabriquer de la corde depuis des lambeaux de peaux animales, va se rapprocher de lui. Mais Peter, aussi intelligent et peut-être aussi cruel que Phil, va se laisser apparemment approcher de bon coeur, pour mieux se défendre et protéger sa mère.
The Power of the Dog est une tragédie intime et familiale, brassant des thématiques comme la masculinité et l'homosexualité, l'intelligence de gens solitaires, l'amour fraternel et filial, la nostalgie des enfants et la résignation des adultes. Si les chapitres centraux sont affaiblis par quelques longueurs marquées, la fin du film révèle toute la puissance du drame en dévoilant la nature profonde de ses protagonistes. La force et la faiblesse se renversent, l'amour et la cruauté s'échangent, la violence qui s'est construite pendant tout le film éclate enfin d'une manière surprenante.
The Power of the Dog de Jane Campion, disponible sur Netflix le 1er décembre 2021. Ci-dessus la bande-annonce. Découvrez ici toutes nos bandes-annonces.