CRITIQUE / AVIS FILM – "Le Théorème de Marguerite" d'Anna Novion réussit à rendre attractif l’univers abscons de la recherche en mathématiques et sa transposition dans la vie. Avec Ella Rumpf et Jean-Pierre Darroussin.
Le Théorème de Marguerite et le langage universel des mathématiques
Lorsque la réalisatrice Anna Novion a présenté Le Théorème de Marguerite au Festival du Film Francophone d’Angoulême, elle a déclaré que « les mathématiques sont un acte de foi, dont les inventions convoquent l’imaginaire et la poésie ». Et c’est en effet l’impression qui ressort de ce film original, faisant entrer le spectateur dans un domaine qui peut paraître hermétique de prime abord (abordé également dans La Voie royale). La prouesse du film est de le rendre accessible, même si son sujet n’est pas tant l’aboutissement que le chemin parcouru par l’héroïne Marguerite (Ella Rumpf).
Car ce qui est fascinant dans Le Théorème de Marguerite, c’est bien de donner à voir à l’écran la passion, voire l’obsession de cette jeune mathématicienne ambitieuse en dernière année de l’École Normale Supérieure. Sa vie et son cerveau bouillonnant ne tournent qu’autour des mathématiques et de ses recherches pour tenter de résoudre une assertion mathématique. Connue sous le nom de Conjecture de Goldbach, formulée en 1742, il s’agit de l’un des plus vieux problèmes non résolus de la théorie des nombres et des mathématiques.
Marguerite en a d’ailleurs fait le sujet de sa thèse sous la direction du Professeur Laurent Werner (Jean-Pierre Darroussin). Leurs relations sont abruptes, dominées par l’exigence de cet univers d’idées, d’hypothèses, de réflexions, de doutes, de déceptions, exempts de sentiments. Mais aussi par la présentation de l’avancée des travaux à d’autres collègues chercheurs et de confrontation à leurs questions.
Mettre de l’ordre dans l’infini
C’est précisément devant une telle assemblée que le monde de Marguerite s’effondre. Malgré une démonstration de haute tenue, elle est mise en difficulté par Lucas (Julien Frison), un autre doctorant séduisant. Il pointe une erreur dans sa théorie et le Professeur Werner porte l’estocade. La réalisatrice parvient très bien à faire partager au spectateur le vertige et le sentiment d’humiliation que ressent alors la jeune mathématicienne.
S’agit-il pour Marguerite d’une blessure d’orgueil démesuré de sa part ? Ou de la révélation qu’elle a peut-être atteint son seuil d’incompétence ? S’est-elle fourvoyée dans ce monde si loin du sien, elle qui vient d’un milieu social fragile, élevée seule par sa mère Suzanne (Clotilde Courau) ? Doit-elle comprendre qu’elle est une femme qui doit encore et toujours faire ses preuves dans ce milieu masculin ? Pourtant, Le Théorème de Marguerite montre avec pertinence que si la concurrence et la jalousie existent bien, les chercheurs se portent tout de même une admiration mutuelle, quel que soit le sexe.
De Normale Sup' aux parties de mah-jong
D’un coup, sa vie dédiée tout entière à Goldbach n’a plus de sens. Il lui faut fuir les regards et les contacts, se cacher, se reposer surtout. La réalisatrice embarque le spectateur dans la nouvelle vie de Marguerite. Sa rencontre avec Noa (Sonia Bonny, une vraie révélation) va lui permettre de s’ouvrir aux autres, mais aussi à ses besoins et ses désirs.
La réalisatrice s’amuse avec habileté des contrastes entre les deux colocataires qui deviennent amies et vont beaucoup apprendre l’une de l’autre. Autant Marguerite est renfermée, mal fagotée, plus obnubilée par la logique et l’ordre que par sa propre apparence ou sa sexualité. Autant Noa est lumineuse, joyeuse, bordélique et à l’aise avec son corps.
En pleine reconstruction, Marguerite se découvre un réel talent pour le mah-jong. Car les mathématiques ne sont jamais loin et retrouveront peu à peu une place dans le cœur de Marguerite. Mettant définitivement à mal l’idée de Werner sur le fait que les mathématiques ne doivent pas souffrir d’excès de sentiments. Après une existence n’oscillant qu’entre deux verbes "Trouver" et "Prouver", Marguerite en rajoutera deux autres : "Vivre" et "Aimer". Grâce à un formidable casting et une narration au cordeau, Le Théorème de Marguerite se révèle un film aussi inspirant que jubilatoire.
Le Théorème de Marguerite d'Anna Novion, en salles le 1er novembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.