CRITIQUE / AVIS FILM - Après "La Loi de Téhéran", Saeed Roustaee s'intéresse au malheur d'une famille iranienne avec "Leila et ses frères", nouvelle observation terrible d'un pays en crise et socialement en panne.
Leila et ses frères : plus qu'un drame familial
C'est avec La Loi de Téhéran qu'on découvrait en 2021 Saeed Roustaee. Un thriller iranien passionnant et réalisé d'une main de maître. Dedans, un policier cherche à attraper un dealer de drogue. Une base simple qui permettait à son auteur de pointer une société iranienne ravagée par la drogue et la pauvreté. Avec Leila et ses frères, Saeed Roustaee retrouve ses interprètes (les excellents Navid Mohammadzade et Payman Maadi auxquels il ajoute l'actrice Tarane Alidousti), ses thématiques, et fait mine de changer de genre.
Certes, on pourrait mettre le long-métrage dans la catégorie du drame familial. Mais ce serait au fond un peu réducteur - tout comme La Loi de Téhéran n'était pas qu'un film policier. Le réalisateur abordant ici l'histoire d'une famille pauvre qui cherche à changer sa condition sociale, à la manière d'un thriller.
D'abord, il y a le père, qui ne rêve que d'une chose, être enfin respecté par sa communauté. À la mort de son cousin, un nouveau parrain doit être désigné pour diriger cette grande famille. Une tradition persane qui provoquera la scission entre deux générations : le père et ses enfants. Du côté de ses enfants justement, Alireza vient de perdre son emploi à l'usine. Celle-ci étant désormais en liquidation, un affrontement entre ouvriers et policiers fera l'ouverture du film.
Manouchehr, lui, participe à des magouilles, tandis que Parviz travaille dans les toilettes d'un centre commercial et que Farhad s'en sort à peu près comme chauffeur de taxi. Pas suffisant néanmoins pour porter toute la famille. Leila, sur qui tout le monde s'est toujours appuyé, tente alors de sortir ses frères de leur condition en les convainquant d'acheter une boutique pour lancer leur propre affaire. Ce sera le début d'une série de désillusions. Car à la manière de Michael Mann, chez Saeed Roustaee, c'est le désir d’indépendance des personnages qui les mènent à leur perte.
Dans la lignée de La Loi de Téhéran
On se souvient d'un passage de La Loi de Téhéran où un juge (Farhad Aslani, qui joue ici Parviz) n'avait d'autre choix que d'appliquer bêtement la loi et de condamner un enfant à la prison, plutôt que d'écouter sa raison. On retrouve une idée similaire ici lorsque Leila dit à Alireza : "Voilà ce qu'il se passe quand on inculque des principes plus que de la réflexion".
Saeed Roustaee montre ainsi que la morale ne fonctionne même plus dans son pays. Face à un système cassé et en crise, malmené économiquement par les rapports entre l'Iran et les Etats-Unis, il n'y a plus que la survie et pas de place pour des sentiments. C'est ce qui avait mené le dealer de La Loi de Téhéran à plonger dans la criminalité pour pouvoir s'extirper de sa pauvreté. Une représentation terriblement pessimiste du monde, à mettre en lien avec ce que défend Alireza, pour qui chacun reste responsable de ses actes et assumera les conséquences.
Saeed Roustaee impressionnant de maîtrise
Saeed Roustaee est encore une fois très précis dans sa mise en scène. Même si le film se construit davantage sur de longues conversations entre Leila et ses frères, le cinéaste ne laisse rien au hasard. Et s'il se permet une tonalité parfois plus légère, presque comique sans pour autant rire du malheur de ses protagonistes, il ne perd jamais de vue l'essentiel. Car ce sont bien par toutes ces discussions que passeront les problématiques.
Par la montée crescendo du ton de chacun, par la trahison tragique des enfants, par les vérités violentes que finira par lâcher Leila à son père, ou par le rabaissement physique d'Alireza par un cousin de son père qui l'enfonce violemment dans le fond d'une pièce. Une séquence qui tient en elle l'impossibilité à s'élever, même à espérer, dans une vie où même les rares moments de joies sont éphémères avant un nouveau malheur. Bien que long de 2h45, Leila et ses frères reste une leçon de cinéma, socialement fort et sans émotion facile ni misérabilisme. Une confirmation pour Saeed Roustaee.
Leila et ses frères de Saeed Roustaee, en salles le 24 août 2022. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces. Le film était présenté au festival de Cannes 2022 en compétition officielle.