CRITIQUE FILM - Il n'est pas si courant qu’un film français génère autant d’attentes et d’appréhension. C’est le cas de "L’Empereur de Paris", nouveau film de Jean-François Richet avec Vincent Cassel. Comment qualifier ce long-métrage sur Vidocq, chargé de réparer la terrible faute de goût du "Vidocq" de 2001 ? De blockbuster, de policier d’action, de drame humain, de fresque historique ? On aimerait, et on peut dire tout ça, parce que "L’Empereur de Paris" est un des meilleurs films français de ces dernières années, toutes catégories confondues.
L'Empereur de Paris est très attendu, car l’histoire de Vidocq porte en elle le meilleur du genre policier français, filmé ou écrit. Eugène-François Vidocq, né en 1775 à Arras et mort à Paris en 1857, fut un aventurier. D'abord délinquant puis bagnard, évadé de plusieurs prisons, véritable légende de son vivant, il deviendra indicateur et policier avant de devenir chef de la brigade de sûreté à Paris. L’insistance à jouer de cette figure historique est révélatrice de l’influence importante de la période de l’Empire napoléonien. En effet, belliqueuse et mystérieuse, elle est sans doute à l’origine du genre de la grande fiction policière française, avec son héroïsme bâtard, son goût pour les anti-héros et les zones grises où la criminalité se lie au politique. Cet univers fascine, autant glorieux que mortifère, entre la Révolution et la Restauration, et dans ce Paris déjà engagé dans sa mue vers la modernité.
Ainsi, comme les Américains ont leur western, nous avons le film historico-policier pour y chercher notre identité et cartographier les sources de la perpétuelle violence qu’entretiennent ensemble la société, l’Etat, et les individus, dans ce pays où on tue les rois pour finalement se donner des empereurs. Cette année, au moins deux autres films français auront porté cette ambition. Les Frères Sisters dans un contre-pied américain, et Un Peuple et son roi. Malgré leurs approches très différentes du cinéma, avec un scénario d'Éric Besnard, L’Empereur de Paris se place à leurs côtés, et Jean-François Richet au rang de ces réalisateurs de grand talent.
Leçon d’artillerie lourde
Comme Jacques Audiard, dont la noirceur célèbre en même temps qu’elle désagrège une forme de virilité occidentale, Jean-François Richet fait aussi un cinéma bagarreur, buriné, mais ses héros sont de vrais héros avec des caractères dont l’univocité fait l’authenticité. Plus lyrique, direct et aussi moins profond, il veut inscrire directement ses personnages dans l’histoire, en les plongeant dans une urgence violente. Et à l'instar de son Assaut sur le central 13, il réussit avec L'Empereur de Paris un très bon policier d'action.
Pour l'autre versant, un film historique fonctionne s’il est entièrement incarné, et grâce à un soin méticuleux apporté à la mise en scène, ses combats, sa musique, ses plans amoureux des bas-fonds de Paris, le sien permet de pénétrer sans effort dans les catacombes occupées par les bandes criminelles, passer près de l’Arc de Triomphe en construction, dans les marchés animés du centre de la capitale, enfin de se plonger dans le Paris voyou et populaire, impérial et anarchiste.
La très grande connivence entre le réalisateur et Vincent Cassel sautait aux yeux dans le diptyque sur Mesrine. C’est encore le cas, mais dans une démarche différente. Que grâce soit rendue à son interprète de Vidocq. Celui-ci réussit là un de ses meilleurs rôles, où sans sortir de son registre, il apporte une paix et une sobriété surprenante à son personnage, et son jeu d'acteur. Loin des couleurs de son mémorable Jacques Mesrine, Vidocq est à la fois simple et digne, et même dans les séquences amoureuses, secondaires et légèrement moins abouties que le reste, sa présence et son intensité restent frappantes.
Véritable gueule de cinéma, Vincent Cassel/Vidocq en impose naturellement, presque en retrait, comme inconscient et désintéressé de son rôle dans la grande histoire. Il ne parle que peu, tendu par une action constante. Alors l’image parle pour lui, équitablement proche de son corps au combat et suivant sa longue silhouette de loin dans les petites rues et sur les grandes places parisiennes.
Paris, je t’aime
Il y a dans L’Empereur de Paris une immense tendresse – et était-ce bien volontaire, au regard de toutes ces bagarres ? -, quelque chose de touchant qui se trouve dans la personnalité de ce Vidocq et surtout, là est le tour de force, dans la reconstitution de Paris. Que ce soit dans les décors, les costumes, les lieux choisis, les plans panoramiques, le film s’épanouit avec un sujet indirect là où Un Peuple et son roi a déçu, là où Pierre Schoeller a paradoxalement désincarné sa révolution à trop vouloir la rendre charnelle. L'Empereur de Paris, avec mais aussi autrement que par ses personnages, réussit avec sa reconstitution du Paris de l’époque à émouvoir profondément. Et c’est peut-être unique, car on serait au sujet d’une reconstitution historique plutôt convaincus, satisfaits d’une fidélité, ou encore instruits.
Ici, il s’agit bien d’une sensation de tendresse, doublée d’une forme de réminiscence parfaite, un souvenir impossible mais viscéral, et donc d’une reconstitution de Paris au coeur. Faire un personnage d’une ville est plus simple à dire qu’à faire, et L'Empereur de Paris le fait d’un geste très accompli qui se termine en apothéose dans un affrontement final magistral, depuis les entrailles de Paris. Ainsi, très loin d’une volonté auteuriste, le film de Richet se donne pourtant une signature unique et complexe sans être compliquée.
Des secondes lames si tranchantes
Pour cette séquence de bataille, et aussi d’autres, il faut mentionner James Thiérrée, dans un magnifique rôle de père et de hussard égaré dans son honneur. Notamment dans les chorégraphies de combats, pour lesquelles Vincent Cassel est d'ailleurs crédité, cet excellent comédien et artiste de cirque concourt beaucoup à l’esthétique puissante et émouvante de l’ensemble. Autre second rôle, dans un registre théâtral et esthétique tout à fait opposé mais tout aussi brillant, Denis Lavant incarne Maillard, ex-bagnard chef de cellule, puis chef de bande à Paris et ennemi de Vidocq. Il réussit son personnage aussi bien que son Marat dans Un Peuple et son roi, voire plus encore.
Avec aussi Denis Ménochet en policier intègre, ils composent des personnages très attachants, tous martyrs de leur propre cause, petite ou grande. Le film a une belle ambition populaire dans la forme et aussi dans le discours, et les hommes et femmes de l’Empire sont un peu moins à la fête. Les rôles appliqués d’Olga Kurylenko en courtisane intrigante et Fabrice Luchini en ministre de la Police sont à cet égard intéressants sans être vraiment nécessaires. Mais dans ce film plein et entraînant, ils ne dépareillent jamais et œuvrent de concert au bon déroulement de l’intrigue. Pour sublimer cette intrigue policière et quasi-fresque historique, Marco Beltrami et Marcus Trumpp composent une très belle bande-originale faite essentiellement de cordes puissantes et engageantes, mais sans la pompe qu’on accole souvent à la période.
"Et vive l'Empereur !"
Rien ni personne n'est parfait, et manquent au film des personnages féminins vraiment consistants, et sont de trop quelques ellipses temporelles facilement posées. Mais il ne faut pas bouder son petit plaisir cinéphile, et tout ceci fait que L'Empereur de Paris évoque immanquablement un chef d’œuvre, un film dont on ne pensait peut-être pas un jour le comparer : Gangs of New-York. Bien sûr, il s’agit de Martin Scorsese et de Leonardo di Caprio, et beaucoup de Daniel Day-Lewis. Jean-François Richet n’est pas Scorsese et, même si l’acteur August Diehl fait très bien son travail, son personnage n’est pas le mieux écrit et la grande qualité de L’Empereur de Paris n’est pas dans sa relation antagoniste avec Vidocq.
C’est une des nombreuses différences avec Gangs of New York, mais pour son Paris, ses affrontements à la lame et aux pistolets à silex, pour sa peinture affectueuse des bas-fonds et méfiante des ors de l’Empire, pour la trajectoire d’hommes imparfaits mais de bonne volonté,L’Empereur de Paris a un droit très légitime à cette référence.
L'Empereur de Paris, de Jean-François Richet, en salle le 19 décembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.