CRITIQUE / AVIS FILM – "Les Cadors", dernier long-métrage de Julien Guetta, immerge le spectateur dans le monde des dockers par le biais de la relation entre deux frères que tout oppose, interprétés par Jean-Paul Rouve et Grégoire Ludig.
On ne choisit pas sa famille
Tout semble construit en effet miroir dans Les Cadors, second long-métrage de Julien Guetta coécrit avec Lionel Dutemple. La signification du titre tout d’abord : un « cador » en argot, c’est un individu puissant, un champion, un caïd. C’est comme ça que Christian (Jean-Paul Rouve) se nommait avec son petit frère Antoine (Grégoire Ludig), qu’il protégeait de leur père violent et du harcèlement de ses camarades.
Mais un cador, ça peut aussi à l’inverse signifier un clebs, un toutou. Et c’est ce que semble être devenu Antoine vis-à-vis de Jean-Pierre (Michel Blanc), patron dominateur des docks de Cherbourg, dont les méthodes sont plus que malhonnêtes. Mais Antoine a tellement besoin d'argent pour faire vivre sa famille qu'il ne sait pas lui dire stop.
L’autre effet miroir dans Les Cadors se situe entre le présent et le passé, grâce à d’émouvants épisodes de flashbacks qui renvoient dos à dos Christian et Antoine. Jeunes, ils étaient peut-être des cadors, mais que sont-ils devenus aujourd’hui ? Le film interroge ainsi sur la fragilité du lien fraternel et sur ce qui le maintient. Comment renouer malgré tant de différences de vies ? Comment recréer la complicité et le respect mutuel dans le présent ? Les souvenirs communs d’une enfance maltraitante avec la violence d’un père et l’abandon d’une mère sont-ils suffisants ?
Frères un jour, frères toujours
Car la violence qu’ils ont connue a construit différemment Christian et Antoine, tout comme le chemin de résilience qu'ils ont emprunté. Christian est parti de Cherbourg et a erré de port en port. Antoine y est resté, s’est arrimé au sien. Christian, « attachiant » au possible, n’a pas eu les codes pour grandir et reste un éternel adolescent qui trimballe sa propre violence et son mal-être.
Il rappelle d’ailleurs par son immaturité le personnage principal de Roulez jeunesse (joué par Eric Judor), premier long-métrage du réalisateur. Antoine a tout fait pour oublier son enfance et vite devenir un adulte responsable, se créant un cocon familial aimant.
C’est un double événement qui les fait se retrouver : le décès du père et la communion du fils d’Antoine. Une libération qui renvoie aussi au départ de leur mère quelques jours avant la propre communion d’Antoine. Revoir Christian, c’est pour Antoine replonger à son corps défendant dans une époque qu’il a détestée. C’est se frotter à ses démons qu’il croyait avoir mis de côté. C’est aussi continuer à mentir à sa femme Alexandra (Marie Gillain), qui n’apprécie guère son beau-frère. Et même si les rôles ont l’air de s’être inversés, c’est redevenir le petit frère qui a besoin du grand frère protecteur.
Ce que parvient plutôt bien à montrer Julien Guetta, c’est la volonté de ses personnages de s’en sortir malgré la vie difficile, le manque d’argent, la misère presque. L’entraide dans la famille des dockers ou le personnage singulier de Madeleine (Aurore Broutin), nounou des deux fils d’Antoine, sont donnés à voir sans pathos. Le réalisateur suscite l’intérêt du spectateur en explorant le milieu professionnel des docks, lui permettant de connaître l’envers du décor des quais et des containers. Tout comme il l’avait fait dans le milieu des garages dans Roulez jeunesse.
Les Cadors, un film inégal
Pourtant, Les Cadors laisse au final une impression d’inabouti. Sans doute en raison de l’angle choisi de la comédie, qui ne parvient pas à convaincre. Trop de scènes tentent en vain de faire rire à propos de sujets graves. D'autant que le jeu des acteurs ne parvient pas à compenser le déséquilibre de caractère entre les deux frères. Trop d’adjectifs définissent Christian, dont son interprète Jean-Paul Rouve a collaboré aux dialogues et à l’adaptation. Il cabotine à outrance, sans susciter l'empathie du spectateur.
A côté de son frère, Antoine apparaît bien fade et sans nuances, donnant à voir Grégoire Ludig mal à l’aise dans un rôle trop sérieux. Il n'a en effet jamais la possibilité d'exploiter le second degré, marque de fabrique qui l'a si bien fait connaître avec son compère David Marsais. Quant à Michel Blanc, caricature voulue du patron mafieux, il ne parvient pas à décrocher un seul sourire au spectateur. Et peut-être manque-t-il au film un dernier effet miroir positif, celui qu'aurait pu illustrer le lien fort entre les deux fils d'Antoine au sein d'une famille heureuse ? Les Cadors se révèle donc un film inégal, malgré les moments tendres des prises de conscience de chaque frangin, la musique d’Alex Beaupain et le générique final chanté par Catherine Ringer.
Les Cadors de Julien Guetta, en salles le 11 janvier 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.