Les Enfants des autres : Rebecca Zlotowski sublime Virginie Efira dans un mélodrame solaire

La réalisatrice passe la vitesse supérieure

Les Enfants des autres : Rebecca Zlotowski sublime Virginie Efira dans un mélodrame solaire

CRITIQUE / AVIS FILM - Avec les formidables Virginie Efira et Roschdy Zem, la réalisatrice Rebecca Zlotowski signe avec "Les Enfants des autres" un grand film sur l'impuissance féminine et un bouleversant portrait de femme.

Rebecca Zlotowski gravit son premier sommet

Après Une Fille facile, quatrième long-métrage de Rebecca Zlotowski et film de sa naissance autant qu'auteure de cinéma, la réalisatrice livre avec Les Enfants des autres son film le plus accompli, le plus beau, et le plus personnel. Ses deux premiers films, Belle épine et Grand Central, avaient quelque chose de la prise de marques. Ils promettaient du nouveau, à terme, tout en s'inscrivant à l'instant dans des environnements de cinéma confortables.

La réalisatrice y racontait deux histoires d'amour dans des univers plutôt masculins, avec ce qu'ils pouvaient avoir de rassurant au moment de faire ses premiers pas. Et puis Planétarium a lancé le pivot, avant qu'Une Fille facile ne scelle enfin l'authentique originalité du cinéma de Rebecca Zlotowski. Un cinéma de son temps, perméable aux mouvements d'une société qui déconstruit ses vues masculines, et se meut vers d'autres valeurs.

Une Fille facile
Une Fille facile ©Ad Vitam

Un cinéma comme un art du portrait, qui se joue des clichés et des attentes avec une facilité enivrante. Coupant les grosses ficelles qui tiennent les scénarios vus et revus, faisant le pari de mettre en sons et en images des choses triviales et banales cadrées au plus proche, Rebecca Zlotowski opère un renversement sans montrer l'effort de la manoeuvre.

Parce que si Une Fille facile pouvait parfois paraître un exercice de force, avec une provocation revendiquée (il fallait oser Zahia Dehar), c'est par un geste d'une infinie douceur que la réalisatrice livre un des films récents les plus puissants avec Les Enfants des autres.

Un mélodrame de haute altitude

Rachel (Virginie Efira) est heureuse et accomplie. Rayonnante, elle court de l'école où elle enseigne à son cours de guitare. Elle a des amis, un père et une soeur avec qui elle s'éclate, elle a le sourire et le charisme de l'épanouissement. À ce cours de guitare, elle rencontre Ali (Roschdy Zem), séduisant célibataire et père d'une petite Leïla. L'alchimie est immédiate, leur amour fougueux. Mais quelque chose manque à Rachel et la peine un peu. À 40 ans, son temps pour avoir un enfant est compté, et elle a ce désir. Alors, sa rencontre avec Leïla, 4 ans, va lui apporter autant de joie que de tristesse.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

Les enfants des autres, quand on n'en a pas soi-même, ne laissent jamais indifférents. Ils agacent, ils amusent, ils multiplient le désir d'être parent comme ils en dégoûtent. Surtout, les enfants ont un rapport nu à la vérité, des mots blessants leur échappent. Comme Leïla, qui demande à son père à propos de Rachel, "pourquoi elle est toujours là ?", déclarant ensuite préférer sa mère et qu'elle voudrait que celle-ci revienne à la maison. Les enfants des autres sont cruels. Mais Rachel, malgré la tristesse et la solitude qui la gagnent, ne se laisse pas abattre.

Le mélodrame de Rebecca Zlotowski est élégant, mesuré, fin, sans les excès souvent grossiers du genre. La situation n'a rien d'extraordinaire, beaucoup de femmes sont des belles-mères, et restent ainsi au pas de la porte entrouverte d'une cellule familiale. Ce drame existe pour Rachel, mais elle est par ailleurs entière, autonome, elle ne sera jamais "ratée" parce qu'elle n'aurait pas d'enfant "à soi". Les Enfants des autres a en effet ce génie, partagé par Rebecca Zlotowski et Virginie Efira, qui livrent ensemble un portrait de femme et de cinéma renversant.

Virginie Efira - Rebecca Zlotowski, duo gagnant

L'actrice belgo-française tourne à en donner le vertige. On ne s'en plaint pas, tant ses choix et ses performances sont pertinents et remarquables. Les deux femmes se sont bien trouvées, et leur collaboration est plus fertile que celle que Rebecca Zlotowski avait avec Léa Seydoux pour ces deux premiers films. La force de l'âge ? Il y a de ça, à voir l'exceptionnelle maturité et puissance du portrait de Rachel. Filmée dans toutes les valeurs, dont de magnifiques plans rapprochés, Virginie Efira est la formidable matrice du film.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

Elle y est si performante qu'elle incarne seule toute la matière conflictuelle. C'est-à-dire qu'il n'y a pas besoin de montrer ce que font Ali et Leïla lorsqu'elle n'est pas là. À elle seule appartient son désir d'être mère, ne dépend que d'elle de s'intégrer ou pas, de décider de son sort. Si elle joue le rôle d'une belle-mère, celui-ci n'est donc pas sa première identité. Après, notamment et récemment, Madeleine Collins et Revoir Paris, Virginie Efira continue ici d'explorer avec brio la condition humaine. Performance inédite dans Les Enfants des autres, elle le fait dans une banalité, une situation triviale, et livre un portrait aussi normal que formidable.

À partir de cette vue, le rôle de Roschdy Zem gagne en force et en beauté dans son recul au second plan. Brillant acteur, longtemps cantonné aux rôles de durs et ténébreux, le flingue à la main et le mot rare, il bouleverse en incarnant ici l'objet du désir. "Coincé" dans son rôle de père et contraint par sa relation passée avec Alice (Chiara Mastroianni), il n'a pas de prises sur la vie de Rachel. Celle-ci n'entretient d'ailleurs avec Alice aucune animosité, jalousie ou autre rancoeur propre à faire l'attendue - et mauvaise - ligne narrative classique.

Un film renversant

Dans une très belle scène où Ali prend sa douche, Rachel entre dans la salle de bains, s'assoit et le regarde, désirante. Un renversement magistral de l'iconographie courante, avec enfin l'homme "à sa toilette", auquel fait écho une autre scène, celle où Rachel se cache dénudée sur le balcon de l'appartement d'Ali, afin que Leïla ne la voie pas. Une sorte de "Ciel, mon enfant !", vaudeville au second degré drôle mais surtout parfait dans son renversement de codes trop usités.

Au risque de se répéter d'un commentaire de film à l'autre, Virginie Efira est un "prestige", un perpétuel tour de grande magie, systématiquement juste et hypnotique.

Les Enfants des autres
Les Enfants des autres ©Ad Vitam

Renversant dans sa démarche cinématographique, Les Enfants des autres l'est aussi dans son discours. Être mère est-il un accomplissement nécessaire ? Dans une société qui estime encore qu'une femme qui n'est pas mère n'est pas entière, Les Enfants des autres démontre la stupidité de cette idée. En confiant le thème de la maternité et de son désir à la femme seule, Rebecca Zlotowski produit une oeuvre salutaire et intelligente qui soulage, émeut, ravit.

Film d'une grande justesse et beauté sur l'impuissance féminine, issu d'une idée originale qui partait d'abord sur l'impuissance masculine (l'adaptation du roman de Romain Gary Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable), Rebecca Zlotowski a choisi l'inclinaison autobiographique pour établir ce portrait bouleversant, et réussit depuis l'intime un film universel sur une féminité grandiose. Félicitations de rigueur et sincères remerciements.

Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, en salles le 21 septembre 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Le cinéma fait de banales histoires des grands films, et c'est ce que réussit Rebecca Zlotowski avec "Les Enfants des autres". Virginie Efira et Roschdy Zem sont au sommet de leur art dans ce mélodrame brillant, à voir sans hésiter.

Note spectateur : Sois le premier