CRITIQUE / AVIS FILM - Pour accompagner la sortie de son troisième album, le rappeur Nekfeu a proposé une expérience cinématographique inédite. Le jeudi 6 juin, vieille de la sortie de l'album, une séance unique, à 20h, dans quelques cinémas de France, diffusait "Les Étoiles Vagabondes", film documentaire éponyme qui met en scène la construction de ce nouvel album.
Accompagné de Syrine Boulanouar, Ken Samaras, plus connu sous le pseudonyme de Nekfeu, a mis en scène les tribulations de son dernier album : Les Étoiles Vagabondes. Un phénomène cinématographique inégal, où les genres s’entremêlent, où la qualité s'entrechoque, et où finalement le rap est trop absent ? Critique.
Le syndrome de la page blanche ou le syndrome de la mégalomanie ?
Avec son film documentaire Les Étoiles Vagabondes, Nekfeu cherche à se mettre à nu devant ses fans, qui se sont rués sur les quelques places disponibles pour découvrir quelques morceaux de son album en avant première. L'artiste veut raconter sa dépression, mais également la manière dont il s'est relevé pour ériger ce nouvel album. Il réunit ses potes, son collectif, en passant par Doums ou Damso, ils sont tous là pour accompagner le rappeur dans ses voyages à travers le monde. Nekfeu tente de créer une œuvre spontanée et personnelle comme son pote Orelsan l'a fait quelques années auparavant avec Comment c'est loin. Mais la comparaison s'arrête là, puisque le propos est différent. Quand Orel racontait ses débuts et comment il s'est battu pour en arriver là avec son ami Gringe, Nekfeu préfère se concentrer sur la construction de sa nouvelle œuvre. Et même si le long métrage est souvent juste dans son propos, permettant de mettre en scène des séquences en studio sympathiques et intéressantes, Nekfeu se perd parfois en excès d'orgueil.
Ponctué par sa voix off incessante, Les Étoiles Vagabondes est parfois le terrain de jeu d'un artiste mégalo, qui s'étale de manière ostentatoire et prétentieuse. Il arrive de temps en temps que les tribulations présentées apparaissent calculées, en tout cas trop mécaniques pour paraître spontanées. Quand Nekfeu part dans la montagne japonaise et rencontre un vieil homme seul qui lui demande pourquoi il y a une caméra, on n'y croit pas vraiment. Comme si le rappeur avait mis en scène cette petite manigance pour créer un faux réalisme. Mais nous ne sommes pas dupes. Ça ne passe pas toujours à l'écran, et certains éléments qui cherchent à être naturels finissent par tomber dans la superficialité ou en tout cas l'artificialité. Une manière de tout contrôler, une manière pour Nekfeu de savoir où il va, mais qui gâche pourtant sa volonté d'être spontané. D'un autre côté, il ne se met pas uniquement en avant, cherchant à disparaître derrière son crew, ses amis, sa famille, ses origines grecques ou même des artistes méconnus. C'est dans ces moments là que Nekfeu trouve son rythme et aussi sa force, laisser la star égocentrique s'effacer derrière des inconnus, des visages, des instants. C'est la confrontation de deux mondes en suspens, deux univers qui s'entrechoquent en permanence, et c'est peut-être en ça qu'il trouve sa réussite.
Une opposition qui se ressent dans la réalisation
Syrine Boulanouar n'est pas maladroit avec une caméra, offrant une photographie magnifique, qui met à l'honneur les décors que parcourent le rappeur. Une photographie froide et urbaine au Japon, une couleur plus chaude lorsqu'ils débarquent à la Nouvelle-Orléans, ou une proximité plus approfondie dans les séquences de studio. La mise en scène oscille elle aussi constamment entre deux styles diamétralement opposés, entre film d'auteur pur et clip musical. Lorsque Nekfeu se balade sur son île grecque, lorsqu'il est témoin des problèmes d'immigration, la mise en scène se pose, et vient titiller la réalisation dite d' « auteur », préférant les détails, les portraits, cherchant à filmer l'impalpable. Quand le rap se lance, la réalisation se fait plus clippée, toujours très belle, mais plus en adéquation avec la musicalité, plus brute et visuelle. Et franchement, le rendu final est superbe. Surtout quand Nekfeu ouvre son film sur un intelligent plan séquence de sa marche des back-stages jusqu'à la scène de l'Humanité, en septembre 2018. Une séquence qui plonge directement le spectateur dans son univers et rend hommage à certains des grands plans séquences révolus, comme peut-être celui de Martin Scorsese sur Les Affranchis, où son personnage passe par les cuisines et la porte dérobée pour aller s’asseoir à la table de son restaurant. Une sensation appuyée par la voix off continue du rappeur, qui parfois trouve les mots justes, les tirades qui envolent Les Étoiles Vagabondes vers un univers en apesanteur. Mais parfois cette même voix off ne prend pas, laissant Nekfeu se fourvoyer dans un style philosophique qui tourne en rond, débitant les mêmes messages du début à la fin. Son syndrome de la page blanche prenant trop de place et donnant l'impression qu'il s'agit du combat gagné d'avance d'un petit génie du rap, lui !
Les Étoiles Vagabondes est finalement plus un film sur Nekfeu que sur son nouvel album, qui heureusement retentit au détour de quelques passages, mais peut-être trop discrètement. Aucun morceau n'est proposé en entier, seulement des brides, des décollages, sans le voyage en lui-même. On regrettera peut-être que Nekfeu ne laisse pas son public profiter plus de sa dernière œuvre musicale extrêmement réussie, préférant se la jouer Godard plutôt que Eminem. Surtout que son dernier album est une petite bombe. Quoi qu'il en soit son film est une réussite, un long métrage personnel, esthétiquement appliqué, classe et étonnement en retenu. Un long métrage qui mélange les genres, où les univers se rencontrent, s'attirent, se repoussent. Un monde où l'on se soucie des étoiles vagabondes, et où on essaye de les réunir.
Les Etoiles Vagabondes de Nekfeu. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.