CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Ombres aux paradis", "Ariel" et "La Fille aux allumettes", Aki Kaurismäki se consacre à nouveau au milieu ouvrier avec "Les Feuilles mortes". Une romance qui débute dans la froideur et l'austérité, avant de dévoiler sa tendresse et son humour.
Les Feuilles mortes : dans l'austérité d'Helsinki
Les premières minutes du nouveau film d'Aki Kaurismäki (L'Homme sans passé, Le Havre) ne sont pas réjouissantes. À Helsinki, Ansa (Alma Pöysti) travaille en tant que caissière dans un supermarché qui la paie une misère. De son côté, Holappa (Jussi Vatanen) est un ouvrier alcoolique qui boit pendant ses heures de travail. Ces deux protagonistes s'en sortent tant bien que mal et se rencontrent un soir à un karaoké, rare endroit où ils ont la possibilité de décompresser.
Qu'il s'agisse du cadre austère, de la situation de ces deux prolétaires ou du conflit en Ukraine évoqué continuellement à la radio, Les Feuilles mortes plonge à première vue le spectateur dans un environnement qui n'a rien de chaleureux. Pourtant, le long-métrage parvient à l'être rapidement, notamment grâce à la mise en scène et la composition des plans.
Dans les différents lieux peu accueillants et décrépis, le cinéaste finlandais glisse toujours des éléments réconfortants, jouant constamment avec le bleu et le rouge, ses couleurs de prédilection. Le public retrouve ainsi le charme suranné de ses précédents projets. Il pénètre dans des bars évoquant des lieux comme la Californie mais où les éléments les plus ensoleillés sont souvent les cocktails et les standards datés qui sortent des jukebox.
Les Feuilles mortes réussit également à emporter le spectateur dans un récit nettement plus enthousiasmant qu'il n'y paraît, qui refuse constamment la fatalité. Que ce soit par malchance ou parce qu'ils font les mauvais choix, Ansa et Holappa sont sans cesse séparés et après des premiers regards touchants, Aki Kaurismäki s'amuse avec l'envie du spectateur de les voir réunis pour que leur tristesse et leur mélancolie soient atténuées.
Une duo et un humour pince-sans-rire qui l'emportent
Ansa et Holappa se cherchent puis se retrouvent près d'un cinéma, endroit sacré ou tout reste possible dans les salles mais aussi en dehors, avant de se perdre à nouveau. Le réalisateur répète certaines situations, pas par facilité mais pour renforcer le lien de complicité avec le public qu'il a su créer à l'aide de répliques hilarantes, la plupart du temps lâchées de manière laconique par des personnages désabusés, dont l'absence d'éclats de joie finit par les rendre profondément attachants.
Malgré l'aspect prévisible de son récit, Les Feuilles mortes reste une romance réussie, que son aspect blasé rend singulière. Dans ce quatrième long-métrage centré sur les ouvriers après Ombres aux paradis, Ariel et La Fille aux allumettes, le cinéaste n'embellit pas la situation de travail de ses protagonistes et leurs conditions de vie, qui ont forcément un impact sur leurs natures respectives. Cependant, le rejet de la morosité ambiante et la tendresse triomphent grâce à la volonté de ces personnages, déterminés à s'aimer.
Une issue certes logique mais que le cinéaste développe dans un cadre qu'il maîtrise parfaitement, aidé par les excellents Alma Pöysti et Jussi Vatanen, amoureux maudits qui, à force de persévérance, déjouent ce que le destin avait prévu pour eux : une solitude écrasante et un chagrin omniprésent.
Les Feuilles mortes d'Aki Kaurismäki, en salles le 20 septembre 2023. Le film a été sélectionné en compétition officielle du 76e Festival de Cannes et était présenté en avant-première au Festival de Deauville 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.