CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Lady Bird", inspiré de sa propre vie, Greta Gerwig se lance dans une adaptation d'un classique littéraire avec "Les Filles du docteur March", dont elle parvient à tirer ses thématiques chères sur les femmes et le passage à l'âge adulte.
En 2017 (début 2018 en France), Greta Gerwig s’attelait avec Lady Bird pour la première fois, seule, à la réalisation d’un long-métrage (Nights and Weekends en 2008 était co-réalisé avec Joe Swanberg). Un récit initiatique très personnel où la fiction et le passé de l’auteur semblaient se mêler (voir notre critique). Le film était alors porté par Saoirse Ronan, jouant cette adolescente de Sacramento désireuse de s’émanciper et de découvrir une grande ville culturelle comme New York, plus à son image. Un récit beau et drôle récompensé aux Golden Globes 2018 - Meilleur film musical ou comédie et Meilleure actrice pour Saoirse Ronan.
Devant ce succès, la nouvelle réalisation de Greta Gerwig était forcément attendue. Pour cette seconde expérience en solo derrière la caméra, l’auteure s’est intéressée à un classique de la littérature, Les Quatre Filles du docteur March (1868) de Louisa May Alcott, déjà adapté à plusieurs reprises. Dès 1918 avec le film muet de Harley Knoles, puis par George Cukor en 1933, Mervyn LeRoy en 1949 et en 1994 par Gillian Armstrong. Cependant, avec Les Filles du docteur March Greta Gerwig a surtout l’occasion de poursuivre son observation de jeunes femmes désireuses de trouver leur indépendance.
Comme dans le roman et ses adaptations, on retrouve Jo, Meg, Amy et Beth, quatre jeunes filles vivant avec leur mère à la Nouvelle-Angleterre dans les années 1860. Mais plutôt que de suivre une chronologie linéaire, Gerwig fait le choix de naviguer entre présent et passé, entre un âge presque adulte où ces quatre filles sont toutes dispersées dans différentes villes, et leurs souvenirs d’adolescentes. Un choix payant qui permet un regard nostalgique émouvant sur la jeunesse. Comme si Gerwig prenait son Lady Bird avec un plus de recul et faisait de son nouveau film une sorte de continuité plus adulte.
De Lady Bird à femme indépendante
On retrouve avec Les Filles du docteur March le style dramatico-comique de Gerwig, qui n’hésite pas à adopter un ton moderne, presque anachronique et en décalage avec le genre du film d’époque. Une approche pouvant rappeler The Young Lady (bien que bien moins comique), déjà avec Florence Pugh qu’on retrouve ici en Amy. Mais qu’on se le dise, la principale qualité de son film est bien son casting, parfaitement adapté et dirigé par Gerwig. Saoirse Ronan (dans le rôle de Jo) est comme à son habitude touchante en personnage énergique cachant une vraie sensibilité et fragilité. A ses côtés, Eliza Scanlen (vue dans Sharp Objects) joue l’innocente Beth, tandis qu’Emma Watson, bien que toujours approximative, suffit pour donner vie à Meg.
Bien que classique dans sa mise en scène, la cinéaste prend plaisir à suivre le quotidien de ces sœurs entre prises de bec et marques d’affection. Sauf qu’un certain paradoxe se fait sentir. Le sentiment d’un intérêt plus particulier pour Jo (héroïne de l’œuvre originale, certes) de la part de l’auteure, et la peur d’assumer une mise de côté des autres personnages. Ainsi, si Jo est bien la plus intéressante de part son désir de liberté et sa capacité à se « sacrifier » pour sa famille, et approfondie par sa relation plus qu’amicale avec Laurie (Timothée Chalamet, encore excellent), le manque de consistance de Meg et surtout de Beth rend perplexe sur leur utilité dans le récit, si ce n’est pour évoquer différents caractères et différentes ambitions.
Meg étant celle qui cherche avant tout à se marier, au grand dam de sa sœur Jo qui voit le couple comme une forme d’enfermement, Gerwig montre des points de vue qui diffèrent, mais sans porter de jugement. Symbole d’une certaine maturité. Dommage alors que cette qualité d’écriture ne vienne pas avec davantage d’audaces visuelles. La cinéaste prenant le genre avec beaucoup de respect, peut-être trop, et ne marquant les esprits que trop rarement – si ce n’est une superbe scène sur la plage entre Jo et Beth. Un manque qui fait de Les Filles du docteur March une œuvre relativement peu surprenante et mémorable pour un « second long-métrage ».
Les Filles du docteur March de Greta Gerwig, en salle le 1er janvier 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.