CRITIQUE FILM - Avec "Les Filles du soleil Eva Husson tente de rendre hommage aux femmes kurdes qui ont pris les armes pour combattre Daesh.
Les Filles du soleil, nouvelle réalisation d'Eva Husson après le remarqué Bang Gang (2016), était probablement l'un des films les plus attendus cette année à Cannes. Dès l'annonce de la sélection, Thierry Frémaux avait eu la maladresse de le présenter comme un pur "film de femme", comme pour surfer sur la vague du moment. D'autant plus maladroit que Les Filles du soleil se veut justement comme une œuvre féministe, défendant la cause des femmes en rendant hommage aux combattantes kurdes. En août 2014, au nord de l'Irak, les troupes de Daech attaque le territoire de trois cent mille Yézidies. Les hommes sont massacrés, les femmes et enfants réutilisés comme marchandise sexuelle ou futur combattant (pour les garçons).
C'est peu dire qu'un tel sujet promettait sur le papier. Et on ne pourra pas remettre en cause la bonne volonté d'Eva Husson. Malheureusement le résultat final est loin d'atteindre tous ses objectifs. La faute première à une écriture poussive. Dès la première scène, qui voit Emmanuelle Bercot (Mathilde, journaliste française qui va suivre les combattantes) apparaître avec un cache œil après un mauvais rêve, et se lancer dans un monologue en voix off, on sent que le film prend une direction compliquée.
La tragédie à outrance
Ne faisant pas dans la subtilité, Eva Husson enchaîne ainsi les gros traits de caractère. Mathilde a donc souffert, physiquement et psychologiquement après la perte de son mari, et se retrouvera évidemment en Bahar, à la tête des combattantes, passée par toutes les atrocités. Témoin de l’exécution de son mari, se faisant enlever son fils, voyant sa sœur violée et se suicider, être elle-même violée, voyant ses amies se faire abattre... Les images sont durs, mais à vouloir sortir l'émotion aux forceps, l'effet inverse se produit.
D'autant plus qu'Eva Husson fait l'erreur de mal focaliser son récit. En étant d'abord centré sur Mathilde, qui écoutera alors le récit passé de Bahar, celle qui aurait dû être l'héroïne perd toute son intensité dramatique. Difficile de craindre pour elle dans les innombrables flashback ayant connaissance de son sort. Un sentiment ressenti notamment lorsque Bahar et un petit groupe de femmes s'échapperont de leurs tortionnaires. Une séquence techniquement prenante, qui montre qu'Eva Husson est capable de filmer un film de guerre, mais qui perd assez vite en tension - et se conclut d'ailleurs une nouvelle fois à la limite du risible. Ainsi, si certains passages peuvent convaincre, tout laisse à penser qu'un montage différent aurait sans doute eu meilleur effet. Pourquoi ne pas démarrer sur la vraie héroïne, Bahar, au début du conflit, et suivre alors son parcours ? L'hommage aux combattantes kurdes aurait alors semblé plus honnête.
Golshifteh surnage
Les Filles du soleil déçoit donc, et c'est d'autant plus dommage qu'une fois encore les intentions étaient bonnes. De même que l'implication de Golshifteh Farahani est à noter. L'actrice, de par sa prestation, n'est pas sans rappeler Diane Kruger qui, l'année dernière, repartait de Cannes avec le prix d'interprétation féminine pour In the Fade. Comme elle, Golshifteh Farahani surnage dans un film en deçà, qui plus est dérangeant moralement. Là où Dennis Villeneuve faisait preuve d'une intelligence remarquable avec Incendies (on peut aisément rapprocher les deux films), Eva Husson fait de Les Filles du soleil un appel à prendre les armes pour les femmes et à se venger. Un discours dérangeant qui en révoltera certains. Notamment ce journaliste espagnol qui s'écria à la fin de la projection cannoise réservée à la presse : « Sinvergüenzas ! Inmorales ! Pobres kurdas » (Escrocs ! Sans moral ! Pauvre Kurdes !). Voilà qui est dit.
Les Filles du soleil d'Eva Husson, présenté en compétition à Cannes, en salle le 21 novembre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.