CRITIQUE / AVIS FILM - Joachim Lafosse s'est imposé comme l'un des principaux observateurs cinématographiques de la dégradation des couples. Son cinéma continue dans cette direction avec "Les Intranquilles", un très beau film sur une famille confrontée aux dégâts de la bipolarité.
Les Intranquilles : une famille frappée par la folie
Pendant que sa femme s'offre du repos sur la plage, Damien (Damien Bonnard) et son fils, Amine (Gabriel Merz Chammah), vont profiter de la mer en bateau. Au large, le père décide de plonger dans l'eau et de rentrer à la nage jusqu'au bord. Laissant ainsi son marmot dans l'obligation de conduire le bateau pour retrouver la terre ferme. Un comportement bien étrange, qui ne sera que le premier indice de l'émergence d'une folie chez Damien. Son entourage, et en particulier sa femme Leïla (Leïla Bekhti), commence à s'inquiéter de le voir prendre des initiatives incohérentes. Pourquoi se lever à deux heures du matin pour faire de la mécanique ? Pourquoi refuser en permanence de se reposer ? Quelque chose cloche, c'est un fait. Reste à savoir quoi.
À la suite d'un accident et au cours d'un passage en service psychiatrique, la vérité éclate. Le spectateur ne saura pas réellement de quoi il est question, juste qu'il s'agit d'une maladie mentale. Il faudra attendre longtemps pour que le terme "bipolaire" soit employé et que l'on comprenne quel dérèglement sévit dans le crâne de Damien. Les Intranquilles est moins un film sur cette maladie en particulier que sur la folie dans ses nombreuses incarnations, et principalement sur l'impact ressenti par l'entourage.
Presque un film d'horreur
Joachim Lafosse nous évite de passer par des longues scènes explicatives, s'en tenant au strict minimum sur les passages dans le milieu hospitalier et aux précisions sur la bipolarité. Un choix qui se justifie par l'envie de saisir le combat quotidien livré dans la sphère intime. Sur le front, en alerte constante, Leïla. Observatrice du moindre signe avant-coureur d'un possible drame, elle se consacre qu'à son travail, à protéger son fils et à contenir un mari qui est sans cesse sur un fil. Elle lui court après, l'harcèle pour qu'il prenne ses médicaments, tente de le maîtriser quand il ne répond plus de rien.
Le personnage de Damien, par sa folie, devient quasiment un méchant de film d'horreur, qui inquiète par son caractère imprévisible. Son fils le comparera à un zombie quand il sera en pleine remise sur pied. Damien est parfois un mort-vivant sorti de chez Romero, il est aussi un boogeyman barbu qui secoue des enfants, entre par la fenêtre en pleine nuit après avoir disparu dans la nature. Joachim Lafosse ne fait pas un film de genre mais Les Intranquilles en a les traits a de multiples reprises avec des scènes oppressantes où l'on se demande quelle limite cette folie peut rencontrer. Plusieurs passages nous placent dans l'inconfort parce que l'on sent que tout peut encore plus dérailler. On pense à ce moment saisissant - et ce qui le précède - à l'école d'Amine.
Deux acteurs époustouflants
Les Intranquilles réclamait deux grandes performances d'acteur et c'est exactement ce que l'on trouve. Damien Bonnard est bluffant, inquiétant, touchant dans ses moments de lucidité - notamment une dernière réplique qui vous renverse. Face à lui, Leïla Bekhti est grandiose, prête à vaciller, sans cesse sur les nerfs et pourtant toujours capable d'émettre des signaux d'amour. Joachim Lafosse observe comment la famille peut imploser à tout moment et trouve des petits interstices dans lesquels glisser de la tendresse. Des rares moments d'accalmie, qui sont savourés autant par les personnages que les spectateurs. Les uns comme les autres savent qu'ils tiennent finalement à pas grand chose. À une goutte de lithium, peut-être.
Les Intranquilles de Joachim Lafosse, en salle le 6 octobre 2021. La bande-annonce ci-dessus. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.