CRITIQUE FILM – Avec "Les Invisibles", Louis-Julien Petit nous offre une tragi-comédie qui, à l’inverse de son titre, risque de ne pas passer inaperçue. Axée sur un centre d’accueil pour femmes SDF qui menace d’être fermé, le film suit le combat de travailleuses sociales pour réinsérer les femmes qu’elles ont à leur charge.
Le film s’ouvre. Les plans sur des chevelures torsadées et des mains se multiplient. Toutes tiennent entre leurs doigts ce qui sera leur nouvelle identité : Brigitte Bardot, Selma Hayek, Lady Di… Entre les murs de l’Envol, centre d’accueil pour femmes SDF, tout est possible. Du moins, c’est ce que s’autorisent à croire les travailleuses sociales, férocement habitées par la gagne, déterminées à voir s’en sortir les femmes dont elles s’occupent. Par sa mise en scène, le jeu de ses actrices et ses choix scénaristiques, Louis-Julien Petit capture dans Les Invisibles l’essence de ces femmes, les sublime et parvient à les faire exister.
Un film authentique
Ce qui frappe en premier dans ce film, c’est sûrement son authenticité. Les dialogues, les personnages, le regard que la caméra pose sur eux, tout sonne juste, au point que la frontière entre fiction et réalité s’amenuise. Et pour cause, le réalisateur de 34 ans s’est inspiré d’un documentaire/livre de Claire Lajeunie sur les femmes SDF et a passé près d’un an en tant que bénévole dans des centres d’accueil pour femmes. Pour lui, il était essentiel d’être dans le juste. C’était même la condition sine qua non pour porter ce sujet à l’écran, d’où son choix d’avoir invité une quinzaine d’actrices non-professionnelles, ayant connu la rue, à interpréter les femmes du centre.
L’observation et le terrain ont été couplés à une bonne dose d’exigence puisque le réalisateur de Discount (2015) a mis un premier scénario - qui représentait pourtant huit mois de travail - à la poubelle. Refusant l’écueil de tomber dans la chronique sociale ou l’inventaire, Louis-Julien Petit s’est attelé à trouver une réelle histoire, le fil conducteur qui rajoute au film toute son épaisseur. Les efforts payent. Le spectateur, happé, suit les deux versants de ce combat : celui de femmes nomades, et celui de travailleuses, prêtes à tout pour les sauver.
Une pour toutes, toutes pour une
Les sauver, le peuvent-elles seulement ? Les Invisibles s’intéressent moins à la finalité qu’à la démarche. Ce que le film offre avant tout, c’est un instant de partage au cours duquel la transmission et la quête de soi font la paire. Chacune donne un peu de ce qu’elle a, pioche au fond d’elle-même, se souvient. Audrey (Audrey Lamy), Manu (Corinne Masiero), Hélène (Noémie Lvovsky) et Angélique (Déborah Lukumuena), issues de différentes écoles, trouvent un terrain d’entente lorsqu’il s’agit de réveiller ces femmes. Certainement pas pour les ramener à leur condition, mais bien pour les rappeler à elles-mêmes. Car plus que le froid ou la faim, ce que craignent ces femmes, c’est le regard que les autres peuvent poser sur elles.
Pour celles qui ont coutume d’être ignorées ou jaugées, c’est une lutte quotidienne pour préserver son estime de soi, pour ne pas voir les conseils du quatuor comme des attaques personnelles. Il faut donc beaucoup de pincettes si l’on veut s’adresser à ces électrons libres qui s’efforcent autant que possible de préserver ce qu’il leur reste de dignité. C’est toute la bataille de ces travailleuses sociales qui, pas à pas, tirent le meilleur de ces femmes, leur réapprennent à s’aimer. Une quête qui passe par la recherche de leurs aptitudes, de leur féminité, et de tout ce qu’elles ont à s’apprendre.
Mieux vaut en rire qu’en pleurer
Mais leurs utopies se heurtent parfois aux ingratitudes du métier. Si Hélène, délaissée par son mari, voit dans ce centre d’accueil une véritable catharsis, ce n’est pas vraiment le cas d’Audrey dont l’investissement empiète trop souvent sur la vie privée. Cloisonnées derrière des vitres, des barreaux, Audrey et Manu tournent bien souvent comme des lionnes en cage. Sans jamais tomber dans le pathos ou dicter au spectateur ce qu’il a intérêt à ressentir, le film de Louis-Julien Petit réussit le pari de prendre aux tripes. Le rire amène à la réflexion et ne fait jamais oublier la profondeur du sujet, au contraire.
Les Invisibles de Louis-Julien Petit, en salle le 9 janvier 2019. Ci-dessus, la bande-annonce.