Les Moissonneurs : lorsque deux jeunesses s'entrechoquent

Les Moissonneurs : lorsque deux jeunesses s'entrechoquent

CRITIQUE FILM - "Les Moissonneurs", premier film de Étienne Kallos, est une jolie fresque sur l'amour fraternel et l'héritage familial. Doit-on suivre les pas de ses ancêtres ou s'affranchir de toutes traditions ? En dressant le portrait de deux formidables acteurs, le cinéaste convainc et en transcende son film, dont les images obsède longtemps après visionnage.

Révélé dans l'une des plus belles catégories du Festival de Cannes (Un certain regard) et à Sundance, le cinéma de Étienne Kallos est tout sauf précisé, tangible. On peut aujourd'hui s'attendre à tout venant du réalisateur sud-africain qui avec Les Moissonneurs signe son premier film. Un film qui ne porte pas uniquement sur le métier qui donne au titre son nom, mais plus globalement sur la société que le long-métrage veut retranscrire à l'écran.

Nous sommes en plein Free State, la ceinture biblique de l'Afrique du Sud où siège la culture afrikaner. Quelque chose d'intéressant pour le cinéaste, qui s'est instruit grâce à son ancienne professeure Reza de Wet, également auteure. Là-bas se trouve un décor infiniment précieux pour le cinéma. Des champs à perte de vue, parsemés de petits villages déserts, écrasés sous le poids d'un ciel menaçant. Peu de mairies, surtout des églises. Lieux de culte et maisons de foi dans lesquelles les habitants viennent se recueillir, s'abriter. Il n'y a que le toit divin qui compte.

Posées au milieu de nulle part, ces fermes pourraient être des lieux paradisiaques, mais il y a des barreaux aux fenêtres. Et une peur farouche dans l’air. Les meurtres de fermiers afrikaners sont fréquents, sans que l’on sache qui en sont les auteurs : des ouvriers agricoles mécontents ou simplement des voleurs…

Expliquait le réalisateur à propos du film. Dans ce lieu, enfin, la famille dont on va suivre les péripéties est d'emblée traditionnelle. Des membres pieux, sages... Et accueillants. La mère, personnage le plus fervent du film, ramène un jour Pieter, un garçon des rues, dont la vie antérieure demeurera floue jusqu'à la fin du film. La famille le prend sous son aile et Pieter devra apprendre à cohabiter avec son désormais frère, Janno. De là commence une étrange relation torturée entre amitié, haine et amour.

Critique Les Moissonneurs : lorsque deux jeunesses s’entrechoquent

Une affaire de famille et de maïs

En filmant la subtilité des regards, Kallos décrit ses personnages comme des cocons prêts à éclore mais prisonniers d'un paysage aux traditions libertaires. On découvre Janno (la révélation Brent Vermeulen) qui cache à sa famille son homosexualité refoulée, tandis que le téméraire Pieter (autre révélation Alex van Dyk) tente de lui faire découvrir les plaisirs du grand air et de la vie contemporaine - à base de fêtes, de jurons et de substances.

Les Moissonneurs est un film prônant le choc des cultures. L'arrivée de Pieter au sein de cette famille peut être à la fois vue comme une bénédiction, un vent nouveau, oxygénant un peu le nuage de mœurs instauré depuis la nuit des temps. De son côté, Janno observe, sent, entend et découvre le monde urbain comme un ovni découvre pour la première fois la planète Terre. Dans ce premier film majestueusement bien réalisé et qui jouit d'une photographie pigmentée au naturel, Etienne Kallos y laisse aussi une part personnelle - et c'est ce qui en fait dès lors un auteur à suivre. Le cinéaste voulait surtout filmer cette génération perdue, piégée dans le passé et totalement inconsciente de l'apartheid. Il utilise l'adolescence comme un saisissant point de départ... Du grand départ, justement. Un point d'accroche vers la suite, vers l'inconnu.

On pourrait ainsi terminer par une des nombreuses citations du cinéaste : "Doit-on brûler tout ce qu’ont incarné les générations précédentes pour devenir Africain ?" Une phrase à assimiler à l'une des dernières scènes du film. Un plan mémorable sur un champ en feu, piégeant plus que jamais ses personnages, qui sont dans un état de fuite.

 

Les Moissonneurs de Étienne Kallos, en salle le 20 février 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

À la fois un magnifique film immersif et un choc culturel sur l'émancipation. À voir absolument !

Note spectateur : Sois le premier