CRITIQUE CINÉMA - Acclamé lors de la sortie de "L'Étreinte du serpent", Ciro Guerra revient aux affaires avec "Les Oiseaux de passage", un film qui croise croyances et guerre des cartels. Une proposition de cinéma pas aussi atypique qu'on le souhaiterait, où les coups de fusil se mêlent aux rites ancestraux.
Ceux qui ont eu la curiosité de goûter au cinéma du réalisateur colombien Ciro Guerra savent de quelles splendeurs il peut être reconnu coupable. Présenté à Cannes en 2015, L'Étreinte du Serpent lui a assuré une vraie visibilité. Ce périple dans la jungle amazonienne faisait se rencontrer un ethnobotaniste américain et un chaman. Un choc entre deux mondes, deux cultures, deux esprits. Son nouveau film, Les Oiseaux de passage, tourné avec sa femme Cristina Gallego, reprend un schéma de confrontation similaire en racontant comment un village de Wayuu doit composer avec l'émergence de la marijuana en Colombie. Alors que les jeunes américains viennent chercher de la bonne drogue sur leurs terres, certaines familles voient là l'opportunité de se lancer dans un business émergeant. Ainsi naissent les cartels, des groupes qui salissent traditions et valeurs.
Le film s'ouvre sur une journée particulière. Zaida devient une femme, et elle devra bientôt se marier. Les festivités et rituels s'enchaînent, notamment des danses. Puis surgit Rapayet, décidé à prendre pour épouse la jeune femme. Sa famille entend sa requête mais il devra payer la dot pour y parvenir. Et celle réclamée comprend des animaux ainsi que des colliers. L'homme n'a pas les moyens mais sa malice le pousse à se lancer dans le trafic de drogue. Le début de la richesse ne tarde pas à venir mais les problèmes également. La première partie des Oiseaux de passage est quasiment une étude ethnologique d'un peuple dont le mode de vie est régi par leurs croyances. Sur ce tableau sublime d'un monde qu'on ne connaît pas, les deux réalisateurs viennent poser leur mise en scène élégante pour sublimer un folklore hypnotisant. Dévoués à un rythme lent, ils scrutent les us et coutumes sans renier la contemplation qui défini le cinéma de Guerra. On sent derrière chaque plan le poids d'un héritage culturel, des fantômes qui planent au-dessus des têtes. Le peuple Wayuu n'avance qu'avec l'approbation de ses ancêtres, à qui il voue aveuglement un culte. Les somptueux paysages, pourtant vides, sont meublés par une aura mystique.
La part d'indicible, si précieuse au cinéma, en prend un coup quand se met en branle le film de cartel. Si on pouvait trouver le mélange curieux sur le papier, Guerra et Gallego sont bloqués par un scénario classique qui ne surprendra quiconque a mangé du genre dernièrement. Le chemin en devient prévisible, avec ascension puis chute d'un jeune loup rêvant de devenir grand. Les Oiseaux de passage reprend la matrice d'un genre très codifié. Déception. On l'attendait sur un terrain plus insaisissable. Et même si le film est parcouru de quelques visions puissantes, comme cette villa de luxe plantée dans le désert, il s'installe dans un déroulé programmatique. La mise en scène très cadrée du duo est certes splendide, elle nous réserve un effet Kiss Cool problématique en empêchant l'émotion de trouver son espace pour jaillir. Quoi qu'il arrive à ces personnages, on ne se sent jamais concerné par leur sort, la faute à un style de mise en scène un peu trop rigide. La seule étincelle derrière ce bloc provient de Zaida, prise entre deux feux. Un personnage tragique qui se construit dans l'ombre, point de liaison qui unit l'ancien et le nouveau monde.
Tout ce qui fait la beauté du film est strangulé par des codes qui ne poussent pas la singularité à son paroxysme. Comme si les deux réalisateurs, tels les Wayuu qu'ils filment, restaient rattachés aux traditions pour ne pas trahir leur sujet. Plus une tragédie antique qu'un film de gangsters, Les Oiseaux de passage n'est ni brillant ni raté sur aucun des deux terrains. Il lui manque de la chair, de la passion, pour embraser les ambitions de Guerra et Gallego. La distance qu'ils prennent n'est pas toujours la bonne pour que l'on s'implique dans cette guerre entre clans. Et la position qui nous est attribuée, les fesses entre deux chaises, entre l'émerveillement exotique et la sagesse d'une narration convenue, n'est pas la plus confortable. En laissant un genre très américain prendre le dessus sans s'en servir pour souligner les beautés de leur mythologie, les réalisateurs laissent s'émietter la magie qu'ils souhaitaient mettre en exergue.
Les Oiseaux de passage réalisé par Ciro Guerra et Cristina Gallego, en salle le 10 avril 2019. Ci-dessus la bande annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.