CRITIQUE / AVIS FILM - Après "Roxane", la réalisatrice Mélanie Auffret insiste dans un genre qu'elle maîtrise, celui de la comédie en milieu rural. Son second long-métrage, "Les Petites victoires", avec Julia Piaton et Michel Blanc dans les rôles principaux, est ainsi une très belle réussite, aussi drôle et touchante qu'intelligente.
Mélanie Auffret confirme
Ah, le cinéma français et ses comédies populaires... Une relation pleine, débordante, passionnée, qui livre des films anecdotiques et des longs-métrages bêtes comme des formidables oeuvres de cinéma. Et peu importe les budgets, les scénarios et les castings, ce qu'on peut vérifier avec des films comme Palais Royal ! ou Astérix et Obélix : L'Empire du Milieu, On ne choisit pas sa famille ou Tout simplement noir, pour ne puiser à l'aveugle que quelques titres de ce siècle. Dans cet ensemble aussi riche que fondamentalement chaotique, Mélanie Auffret s'est fait une place au soleil avec seulement deux films.
Son deuxième, Les Petites victoires, a obtenu le prix spécial du jury et le prix du public au Festival de l'Alpe d'Huez 2023. Tout sauf un coup de chance, plutôt la reconnaissance méritée d'une oeuvre parfaitement mesurée, où l'on voyage dans le royaume des émotions sans passer trop vite d'une étape à l'autre. Le bien qu'on pouvait penser de Roxane devait être confirmé, pour justement ne pas conclure à la chance de la débutante. Les Petites victoires se donne ainsi dans un geste proche mais se trouve un autre casting, aborde d'autres thématiques et gagne en finesse, pour le spectacle d'une comédie sociale et rurale, quasi chorale, qui raconte l'histoire d'un village par le portrait de sa maire.
Une écriture aboutie
Alice n'a pas le temps. Alice (Julia Piaton) est la jeune maire d'un petit village breton et à ce titre recueille les plaintes, remontrances et petits tracas de ses administrés. Enfin, si elle a le temps, parce qu'elle doit aussi faire cours à la classe unique de l'école du village. C'est cette classe unique qui concentre l'attention d'Alice et celle du spectateur devant Les Petites victoires, parce que si celle-ci ferme, faute d'un nombre minimum d'élèves, une réaction en chaîne est à craindre. Si les enfants vont dans une autre école, alors sûrement que leurs parents partiront. Déjà qu'il n'y a plus de bar ni de boulangerie...
Il y a donc une problématique réelle au village de Kerguen, problématique qui va s'aggraver lorsqu'Émile (Michel Blanc), sexagénaire qui a grandi et toujours vécu au village, se pointe à l'école pour enfin apprendre à lire et à écrire.
Les petites victoires dont il est question, c'est donc celle du nouvel élève Émile, celle d'un village qui se bat pour exister encore, celles de certains jeunes élèves aussi, qui vont vaincre leur timidité, leur peur. Et peut-être aussi celle d'Alice, qui a d'autres rêves dans un coin de sa tête. Fille de l'ancien maire et médecin du village, est-elle obligée de rester à Kerguen ? À trop s'occuper des autres, est-ce qu'elle ne s'oublie pas elle-même ?
Un menu complet d'émotions
On rit franchement devant Les Petites victoires, parce que les habitants du village sont hauts en couleur, sympathiques, et ceux qui le sont moins sont tout de même amusants. Les échanges entre Émile et ses camarades de classe sont hilarants, Sébastien Chassagne et Lionel Abelanski campent un jeune père de famille bourgeois et un maire adjoint attachants. On s'intéresse aussi, parce que ce milieu rural est bien montré, sans condescendance ni hauteur, mais avec proximité. Le sujet de fond est la désertification rurale, un phénomène tout à fait réel que Les Petites victoires dépeint avec application, sans jamais se départir de sa légèreté.
Enfin, on s'émeut. Surtout parce que Michel Blanc, grand acteur s'il en est, incarne un homme seul et illettré, endeuillé par le décès de son frère qui lisait et écrivait pour lui. Parce qu'il n'a pas ces compétences, sa vie était limitée à un petit "périmètre". Son entreprise de carrelage, ses trajets dans la même zone, qu'il sait faire parce qu'il a mémorisé les couleurs des maisons, certains panneaux... Son mauvais caractère, sa grande gueule, lui permettent de se faire entendre, comme ils dissimulent aussi sa solitude et une tristesse inavouée. Bougon mais bienveillant, à ses difficultés répondent l'inexpérience de ses jeunes camarades d'école, et tous ensemble ils parviendront à progresser.
Mélanie Auffret, à l'écriture avec Michaël Souhaité, tient jusqu'au bout toutes les différentes lignes de son scénario, et n'abandonne rien en chemin. Ce qui fait que rien n'apparaît trivial, secondaire ou anecdotique. Il se joue beaucoup de choses à Kerguen, et la réalisatrice veut le montrer. Pour ça, elle peut compter sur les interprétations de très haut niveau de son casting, Michel Blanc et Julia Piaton en tête.
Le vieil homme et la maire
Julia Piaton se glisse avec une aisance désarmante dans la peau d'Alice, ses soucis et ses aspirations. Son portrait d'une solitude active est touchant, et à ce portrait vient s'ajouter celui que Michel Blanc fait d'Émile. Les Petites victoires raconte avec une joliesse désarmante cette rencontre entre deux solitudes, solitudes qui vont s'entraider également. L'un et l'autre, ils vont se sortir de leurs "périmètres", et ce faisant aussi sauvegarder le futur du village.
Julia Piaton, trop altruiste, retient son émotion une bonne partie du récit. Michel Blanc apprend lui à se canaliser et oeuvrer à la résolution d'un ancien amour. Mais elle, justement, doit faire céder ses digues. À ce jeu de miroirs contraires, les deux comédiens sont brillants, parfaits dans l'"égoïsme" de leur personnage respectif pour que leur duo fonctionne.
Emmené par ces deux grands talents, le reste du casting s'illustre aussi. De la doyenne du village (Marie-Pierre Casey) à la soeur d'Alice (India Hair), en passant par l'inspecteur d'académie (Grégoire Bonnet), tous prennent un plaisir visible à être là. Ainsi que les enfants, qui assurent leurs dialogues comme de vrais professionnels.
Avec sa grande force d'écriture et ses interprétations idéales, Les Petites victoires réussit son pari haut la main. Au point que sa mise en scène, naturaliste, semblerait presque en défaut. Pour transmettre son récit, Mélanie Auffret ne s'autorise pas de détours. Elle ne cède en effet pas, ou si peu, à l'esthétique d'une émotion. Ce qui peut apparaître dommage, parce que certains plans trahissent sa croyance sincère - et sa compétence - dans le pouvoir de la forme. Un petit bémol, mais surtout une grande promesse pour la suite.
Les Petites victoires de Mélanie Auffret, en salles le 1er mars 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.