CRITIQUE / AVIS FILM - Aaron Sorkin revient à la réalisation avec "Les Sept de Chicago", film tiré de faits réels qui regarde autant vers le passé que vers le présent. La charge politique s'avère implacable grâce à l'écriture et une distribution de grand talent.
Les Sept de Chicago : seconde réalisation d'Aaron Sorkin
Quatre mois après Da 5 Bloods, Netflix récidive avec un autre film politique sur la guerre du Vietnam : Les Sept de Chicago. Une acquisition de la plateforme dans un climat où les sorties au cinéma sont extrêmement compliquées. La situation aux USA, elle aussi, est compliquée sur le plan politique. Nous y reviendrons bien assez vite, tant la nouvelle réalisation d'Aaron Sorkin est d'une éblouissante résonance avec l'actualité. Le génial scénariste et créateur de séries que l'on connaît pour son écriture brillante s'est montré un peu moins inspiré derrière la caméra pour Le Grand Jeu. Une première réalisation que l'on espérait d'un meilleur acabit. Les Sept de Chicago, disons les choses sans attendre, lui est supérieur.
Le long-métrage revient sur les manifestations de 1968 lors de la Convention démocrate qui se tenait à Chicago. Les opposants au président Johnson voulaient y exprimer leur mécontentement au sujet de la politique et d'une guerre pour laquelle des américains mouraient tous les jours. Plusieurs représentants d'organisations ont été ainsi poursuivis par le gouvernement fédéral pour conspiration contre les USA et incitation à la violence. Ils étaient au total sept, un compte auquel s'ajoute Bobby Seale, cofondateur des Black Panthers. Les autorités ont alors tout fait pour qu'ils soient jugés coupables, donnant lieu à un affrontement déséquilibré.
Un procès politique
Abbie Hoffman (Sacha Baron Cohen), fondateur du mouvement hippie Youth International Party, le dira assez tôt dans le film : ce procès est politique. Une remarque qui ne sera pas acceptée par l'avocat des sept prévenus, William Kunstler (Mark Rylance). Or, ce dernier, qui semble avoir un esprit raisonné, va se rendre compte que les enjeux de ce procès vont bien par-delà la simple notion de justice. Le juge Hoffman (Frank Langella, délicieusement détestable), d'abord, va vite montrer qu'il opère dans le tribunal avec une impartialité qui n'en a que le nom. Le gouvernement, ensuite, va user de stratagèmes immoraux pour trafiquer la vérité et faire tomber les accusés. On s'aperçoit très rapidement que ce procès est une mise à mort, une marche funèbre improbable dans laquelle les coupables sont déjà désignés avant que le verdict officiel ne soit rendu. Dans les arcanes du pouvoir, il l'a d'ailleurs déjà été.
Comment livrer un combat que l'on comprend perdu d'avance ? C'est tout l'enjeu du récit d'Aaron Sorkin. Son écriture au cordeau enchaîne les joutes verbales à un rythme ébouriffant, avec des touches d'humour et une précision héritée de son passé de dramaturge. Les dialogues taillés avec minutie forment le coeur de l'action. Si certaines séquences reviennent sur les émeutes et les heurts avec la police en marge du congrès, la véritable jouissance se trouve dans les batailles de mots. Pour leur conférer toute leur force, le réalisateur s'entoure d'une sensationnelle troupe d'acteurs. Eddie Redmayne, Sacha Baron Cohen, Mark Rylance, Joseph Gordon-Levitt, Yahya Abdul-Mateen II, Jeremy Strong, John Carroll Lynch, Frank Langella ou encore Michael Keaton sont les pions qui bataillent sur l'échiquier.
Une mise en scène classique
Le scénario n'est que la moitié du travail d'Aaron Sorkin et on a vu avec Le Grand Jeu qu'il pouvait être un peu tiède dans son approche cinématographique. Les Sept de Chicago revêt une forme assez classique, avec une caméra au coeur de l'action qui accompagne les personnages. Ce serait mentir que d'ériger Sorkin en un réalisateur qui dégaine de grandes idées visuelles au service de son histoire. À l'aise dans l'exercice du film de procès, il sait où se placer et quoi montrer pour retranscrire les tenants et aboutissants de cette bataille désespérée. Le montage est particulièrement à saluer, avec une exemplaire fluidité dans le rythme malgré un amas d'informations conséquent. Les deux heures défilent à vive allure et Les Sept de Chicago arrive à trouver l'espace parfait pour venir glisser des images d'archives jamais encombrantes.
Un film sur le passé, pour parler du présent
Les Sept de Chicago n'est pas un film historique limité par son contexte. Sont exposés dedans des problèmes de la société américaine qui sont encore identifiés aujourd'hui. La politique menée par Donald Trump accentue les fractures entre les couches de la population et le président semble n'en avoir rien à faire de prôner le vivre-ensemble derrière son autoritarisme qui tourne souvent au ridicule. Il y a de lui dans ce juge Hoffman, homme qui détient le droit de prendre des décisions et qui n'a pas la carrure morale pour le faire avec justesse. Aaron Sorkin met sur le banc des accusés les hautes instances et leur petites combines pour planquer leurs fautes. Tout dans les enjeux résonne avec 2020, y compris la place des afro-américains. Bobby Seale se fait littéralement attacher pour qu'il ne perturbe plus le déroulement du procès, au point de ne quasiment plus pouvoir respirer. Un autre membre des Black Panthers va se faire assassiner par la police. Le parallèle avec les émeutes des ces derniers mois et les crimes commis contre les noirs saute aux yeux.
Aaron Sorkin dresse un état des lieux qui peut effrayer mais sans renier l'optimisme. Les Sept de Chicago s'achève sur ces mots, "le monde entier nous regarde". Sorte d'avertissement qui peut aussi être pris comme un appel au changement - sous-entendu qu'il n'est pas impossible de renverser la tendance actuelle. À quelque semaines des nouvelles élections présidentielles américaines, tous les yeux sont rivés sur cette nation pour découvrir si elle va insister avec Donald Trump au pouvoir. Le film montre bien que les problèmes des années 60 n'ont pas tant changé aujourd'hui avec ce président. Plus de 40 ans après le procès, il serait tant que ce soit le cas.
Les Sept de Chicago d'Aaron Sorkin, sur Netflix le 16 décembre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.