CRITIQUE / AVIS FILM –" Les Vengeances de Maître Poutifard ", la dernière comédie de Pierre François Martin-Laval, entraîne Christian Clavier et Isabelle Nanty dans les représailles machiavéliques d’un instituteur humilié.
La vengeance est un plat qui se mange froid
C’est Romain Rojtman, producteur de Pierre François Martin-Laval (Profs), qui a fait découvrir au réalisateur le roman « La troisième vengeance de Robert Poutifard » de Jean-Claude Mourlevat. Il lisait à son fils l’histoire des fameuses vengeances de cet instituteur malmené par de nombreuses classes de primaire. Les deux hommes, aidés du co-scénariste Daive Cohen, ont décidé d'adapter ce livre paru en 1990 et de le moderniser.
Ils y ont intégré tous les ingrédients de la société actuelle, dont les travers de l’utilisation des réseaux sociaux. Les auteurs ont choisi de concentrer l’action de Les Vengeances de Maître Poutifard sur un seul clan de quatre gamins qui ont pourri la vie de Robert Poutifard (Christian Clavier). Ils ont aussi fait de lui un instituteur attachant qui aime malgré tous les enfants, contrairement au personnage original.
Pierre François Martin-Laval aborde donc avec beaucoup d’humour le surmenage des instituteurs en général, et celui de Robert en particulier. Ce dernier a tenu dans un journal le compte de ses trente ans de souffrances et d’humiliations quotidiennes. Et Les Vengeances de Maître Poutifard partage avec joie l'imagination dont ils ont fait preuve pour se moquer de lui.
Allant même jusqu’à saboter sa relation amoureuse avec sa collègue Claudine Haignerelle (Jennie-Anne Walker), coup de grâce dont Robert ne s’est jamais remis. Ce qui est très réussi dans le film, c’est la bonne idée politiquement incorrecte de ne pas demander au spectateur d’aimer ces enfants. Au contraire, il est de tout cœur avec Robert, victime de tant d’injustices de la part d'Anthony, d'Audrey et des jumelles Camille et Mélanie.
Œil pour œil, dent pour dent
On ne voit jamais leurs parents dans le film, car c’est bien une affaire entre Maître Poutifard et ses élèves. Les origines de leur méchanceté et de leur volonté de nuire à Robert interrogent. À quel point ces enfants qu’on adore détester ont-ils ainsi conscience du mal qu’ils font ? Et se souviendront-ils de leurs actes lorsqu’ils auront grandi ? Malgré son traitement sur le mode de la comédie, Les Vengeances de Maître Poutifard résonne aussi avec les conséquences du harcèlement scolaire subi de nos jours par les enfants.
Le vieux garçon vit toujours chez sa mère, l’exigeante et castratrice Huguette. Il faut un petit temps d’adaptation à l’œil pour accepter qu’Isabelle Nanty interprète la mère de Christian Clavier, alors qu’elle a dix ans de moins que lui. Ce choix a d’ailleurs fait polémique sur les réseaux sociaux, beaucoup objectant qu'une actrice plus âgée aurait dû jouer ce rôle. Mais Pierre François Martin-Laval, venu présenter le film en avant-première à Bordeaux, y a surtout vu l’occasion de continuer à offrir, comme dans toutes ses comédies, un rôle à sa professeure de théâtre. Et en effet, les deux acteurs s’en donnent à cœur joie dans des accoutrements grotesques et des situations cocasses.
A l’insu de sa mère, le jeune retraité prépare donc ses plans machiavéliques dans une pièce secrète. Le spectateur assiste avec une certaine jubilation à la mise en œuvre de ses vengeances, pensées depuis des années. Elles consistent surtout à ternir la réputation des quatre et à provoquer chez eux ce qu’il a ressenti : l’humiliation. Car tous sont désormais devenus célèbres et ont conservé, pour la majorité d’entre eux, leur caractère tyrannique. Anthony (Roby Schinasi) est un restaurateur imbu de lui-même, les jumelles Camille (Salomé Partouche) et Mélanie (Noémie Chicheportiche) sont des influenceuses autocentrées.
Audrey est devenue chanteuse et est interprétée par Kézia Quental, qui a composé quelques musiques du film sous son nom de scène K.ZIA. L’air de rien, le film met aussi en lumière le façonnement de la personnalité en grandissant, voire même le possible déterminisme social. En effet, tout ne semblait-il pas joué d’avance pour ces sales gosses ? Ne sont-ils pas finalement devenus les adultes ambitieux qu’ils prévoyaient d'être alors que le lèche-botte Bouli (Oussama Kheddam) est toujours dans l’ombre ?
Il ne faut jamais perdre son âme d'enfant
Les Vengeances de Maître Poutifard met très bien en évidence comment les crises font évoluer les personnages et les relations entre eux. Toutes les actions de Robert vont ainsi lui donner l’occasion de remonter dans l'estime d'Huguette. Et l’aide qu’elle va lui apporter sera essentielle pour cette vengeance devenue familiale.
Le réalisateur, fan de Clint Eastwood, Jacques Audiard et Quentin Tarantino, interroge plutôt habilement sur l’utilité de la vengeance de la part d’un adulte. En effet, à quel moment peut-on, toutes proportions gardées, s'estimer définitivement vengé ? Comment dépasser ses rancœurs, mettre un terme satisfaisant à ce processus infernal et pardonner ? Et quelles sont les limites acceptables au-delà desquelles on devient soi-même une mauvaise personne ? Provoquant un délicieux malaise moral, Les Vengeances de Maître Poutifard se révèle donc une bonne comédie réjouissant petits et grands, et invitant habilement à la réflexion.
Les Vengeances de Maître Poutifard de Pierre François Martin-Laval, en salle le 28 juin 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.